From 7e59daeee7e46b053dac3fb2c70c7371bcfc6bb7 Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: RochDLY Date: Sun, 19 May 2024 16:34:38 +0200 Subject: update bib et billet sur la saisie du texte --- ...a-saisie-du-texte-dans-un-nouveau-document.html | 173 ++++++++++++++++----- 1 file changed, 133 insertions(+), 40 deletions(-) (limited to 'docs') diff --git a/docs/posts/2024-05-06-la-saisie-du-texte-dans-un-nouveau-document.html b/docs/posts/2024-05-06-la-saisie-du-texte-dans-un-nouveau-document.html index 9ebab1e..0720470 100644 --- a/docs/posts/2024-05-06-la-saisie-du-texte-dans-un-nouveau-document.html +++ b/docs/posts/2024-05-06-la-saisie-du-texte-dans-un-nouveau-document.html @@ -45,7 +45,6 @@
  • Le logiciel est une médiation
  • Les formats déterminent la sémantique du texte
  • Co-écriture entre les agents
  • -
  • La déprise en main du texte
  • Conclusion
  • Bibliographie
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    Avec ce chapitre, nous commençons à détailler la relation qu’entretiennent un auteur et un ordinateur dans l’acte d’écriture scientifique dans un environnement numérique1.

    Ce dispositif que nous venons de décrire fait écho aux théories de l’éditorialisation (Vitali-Rosati, 2018) et de l’énonciation éditoriale (Souchier, 1998). Ainsi, cette écriture numérique n’est plus définie en tant que fruit d’une seule fonction auctoriale, mais l’est par un ensemble de fonctions éditoriales dont la fonction auctoriale fait partie.

    Selon ce cadre théorique, et puisque notre hypothèse positionne l’intime en tant que produit de l’écriture, nous pouvons nous demander quelle est la contribution de l’environnement d’écriture à cet intime lors de la saisie d’un texte dans un document.

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    Ainsi, parmi toutes les fonctions éditoriales que l’on pourrait énumérer, nous nous intéressons dans ce chapitre à la saisie du texte et à l’environnement support (zacklad_organisation_2012?) dans lequel il s’inscrit. Lors de cette phase de l’écriture, cet environnement devient le lieu où se manifeste un trouble entre ce que l’usager à l’intention d’écrire et le document que produit la machine, qui est structuré selon les formats et protocoles implémentés à l’intérieur de l’environnement. Ce trouble nait de la rencontre entre une représentation du texte structurée graphiquement et une représentation du texte structurée par du texte, comme c’est le cas pour une page web interprétée par un navigateur et son pendant au format HTML. Notre intérêt se porte plus particulièrement sur le côté machine de cette interaction humain-machine et comment elle reçoit et traite les informations pour produire le document à travers un environnement particulier.

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    Afin de traiter cette problématique, nous nous appuyons dans un premier temps sur les particularités de l’écriture numérique (Souchier, 2019; bouchardon_lecriture_2014?; crozat_ecrire_2016?) et sur le fonctionnement de la machine pour illustrer, dans une deuxième partie, le rôle de médiation joué par les logiciels – entendu comme une suite d’instructions écrites – entre la saisie du texte au clavier et les traitements appliqués à ces informations, jusqu’à leur stockage dans une mémoire informatique.

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    Ainsi, parmi toutes les fonctions éditoriales que l’on pourrait énumérer, nous nous intéressons dans ce chapitre à la saisie du texte et à l’environnement support (Zacklad, 2012) dans lequel il s’inscrit. Lors de cette phase de l’écriture, cet environnement devient le lieu où se manifeste un trouble entre ce que l’usager à l’intention d’écrire et le document que produit la machine, qui est structuré selon les formats et protocoles implémentés à l’intérieur de l’environnement. Ce trouble nait de la rencontre entre une représentation du texte structurée graphiquement et une représentation du texte structurée par du texte, comme c’est le cas pour une page web interprétée par un navigateur et son pendant au format HTML. Notre intérêt se porte plus particulièrement sur le côté machine de cette interaction humain-machine et comment elle reçoit et traite les informations pour produire le document à travers un environnement particulier.

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    Afin de traiter cette problématique, nous nous appuyons dans un premier temps sur les particularités de l’écriture numérique (Bouchardon, 2014; Crozat, 2016; Souchier, 2019) et sur le fonctionnement de la machine pour illustrer, dans une deuxième partie, le rôle de médiation joué par les logiciels – entendu comme une suite d’instructions écrites – entre la saisie du texte au clavier et les traitements appliqués à ces informations, jusqu’à leur stockage dans une mémoire informatique.

    Tandis que chaque environnement a ses propres modalités d’écriture que nous ne pouvons pas toutes énumérer, nous nous appuyons dans la deuxième partie de ce chapitre sur l’étude de l’éditeur de texte sémantique Stylo et les différentes représentations du texte qu’il génère. Ces représentations intermédiaires circulent entre les espaces de Stylo – client et serveur – par différents canaux et protocoles pour former, à travers une série de documents produits, une dynamique constitutive du sens de l’écriture (Merzeau, 2013) propre à cet environnement.

    Stylo est un éditeur de texte sémantique en ligne développé pour l’édition savante en sciences humaines et sociales (SHS) et en lettres. Stylo est autant un projet de recherche qu’un outil d’écriture et d’édition, qui entend poser une question décisive : qu’est-ce qu’écrire en environnement numérique en SHS ?

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    C’est un outil libre et open source conçu en 2017 par la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques (CRCEN) (vitali-rosati_ecrire_2020?), et soutenu depuis 2020 par les Très grande infrastructure de recherche Huma-Num. Guillaume Grossetie et Thomas Parisot, tous deux développeurs, maintiennent et développent l’infrastructure technique de Stylo avec la CRCEN depuis plusieurs années, équipe dans laquelle je suis fortement impliqué depuis le début de l’année 2022.

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    Stylo a pour objectif de transformer le flux de travail numérique des revues savantes en SHS. En tant qu’éditeur de texte sémantique WYSIWYM, il vise à améliorer la chaîne de publication académique (kembellec_lerudition_2020?), tout en invitant à une réflexion théorique et pratique sur nos façons d’écrire et d’éditer.

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    Prendre le contrôle de son propre texte, voilà ce que permet aujourd’hui Stylo à travers plusieurs fonctionnalités fondatrices ou toutes nouvelles – depuis la version 3.0 – qui s’inscrivent dans le domaine des technologies de l’édition numérique (blanc_technologies_2018?) : balisage du texte pour une structure sémantique fine, import de données bibliographiques structurées depuis l’application Zotero, mot-clés contrôlés depuis plusieurs ontologies, prévisualisation avec la possibilité d’annoter avec Hypothesis, génération de plusieurs formats (HTML, PDF, XML ou DOCX), export respectant les standards de l’édition scientifique, fonctions avancées de rechercher-remplacer, édition collaborative simultanée, accès aux données via une API GraphQL, etc. Contrairement aux outils de traitement de texte tels que Microsoft Word ou LibreOffice, Stylo cherche à promouvoir et à encourager l’utilisation de standards ouverts.

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    Au coeur de Stylo ce sont donc les formats de balisage Markdown, de sérialisation de données YAML ou encore de structuration de références bibliographiques BibTeX qui offrent la possibilité de produire plusieurs formats de sortie depuis une source unique. Stylo suit donc le principe de single source publishing (fauchie_fabriquer_2024?). En s’appuyant sur Pandoc, un outil de conversion de documents désigné comme le « couteau suisse de l’édition », le module d’export de Stylo génère les formats de sortie PDF (avec l’aide de LaTeX), HTML, XML-TEI, DOCX ou encore XML compatible avec le schéma COMMONS commun à Métopes, Cairn et OpenEdition.

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    C’est un outil libre et open source conçu en 2017 par la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques (CRCEN) (Vitali-Rosati et al., 2020), et soutenu depuis 2020 par les Très grande infrastructure de recherche Huma-Num. Guillaume Grossetie et Thomas Parisot, tous deux développeurs, maintiennent et développent l’infrastructure technique de Stylo avec la CRCEN depuis plusieurs années, équipe dans laquelle je suis fortement impliqué depuis le début de l’année 2022.

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    Stylo a pour objectif de transformer le flux de travail numérique des revues savantes en SHS. En tant qu’éditeur de texte sémantique WYSIWYM, il vise à améliorer la chaîne de publication académique (Kembellec, 2020), tout en invitant à une réflexion théorique et pratique sur nos façons d’écrire et d’éditer.

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    Prendre le contrôle de son propre texte, voilà ce que permet aujourd’hui Stylo à travers plusieurs fonctionnalités fondatrices ou toutes nouvelles – depuis la version 3.0 – qui s’inscrivent dans le domaine des technologies de l’édition numérique (Blanc & Haute, 2018) : balisage du texte pour une structure sémantique fine, import de données bibliographiques structurées depuis l’application Zotero, mot-clés contrôlés depuis plusieurs ontologies, prévisualisation avec la possibilité d’annoter avec Hypothesis, génération de plusieurs formats (HTML, PDF, XML ou DOCX), export respectant les standards de l’édition scientifique, fonctions avancées de rechercher-remplacer, édition collaborative simultanée, accès aux données via une API GraphQL, etc. Contrairement aux outils de traitement de texte tels que Microsoft Word ou LibreOffice, Stylo cherche à promouvoir et à encourager l’utilisation de standards ouverts.

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    Au coeur de Stylo ce sont donc les formats de balisage Markdown, de sérialisation de données YAML ou encore de structuration de références bibliographiques BibTeX qui offrent la possibilité de produire plusieurs formats de sortie depuis une source unique. Stylo suit donc le principe de single source publishing (Fauchié, 2024). En s’appuyant sur Pandoc, un outil de conversion de documents désigné comme le « couteau suisse de l’édition », le module d’export de Stylo génère les formats de sortie PDF (avec l’aide de LaTeX), HTML, XML-TEI, DOCX ou encore XML compatible avec le schéma COMMONS commun à Métopes, Cairn et OpenEdition.

    Le choix d’étudier Stylo comme terrain pour cette recherche découle de plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit d’un éditeur moderne construit avec les technologies du Web les plus récentes. Cet environnement Web suscite un certain engouement auprès des utilisateurs, notamment pour sa capacité à offrir un espace de travail collaboratif en temps réel leur permettant d’écrire à plusieurs dans cet espace. La deuxième raison qui fait de Stylo un terrain opportun est l’accessiblité de son code source. Contrairement à d’autres éditeurs propriétaires comme l’est GoogleDoc, la totalité du code de Stylo est disponible en ligne, ce qui est indispensable pour notre étude. Enfin, le fait d’être impliqué dans les développements de Stylo depuis plus de deux ans m’offre une position privilégiée pour étudier cet éditeur puisque j’ai accès aux différentes phases de tests des développements, me permettant ainsi d’observer le comportement des nouvelles fonctionnalités et de les modifier. Grâce à cette position, j’ai également un accès direct à la communauté d’utilisateurs, s’élevant à un peu plus de 6000 personnes fin 2023 pour plus de 40000 documents différents.
    Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n’est pas neutre et relève d’une forme de recherche-action [ajouter une référence].

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    Alors que chaque signe et chaque trace inscrite (christin__1999?; vitali-rosati__2020?) dans l’éditeur de texte Stylo incarne cette tension entre l’utilisateur et la machine, dont les différences de langage – naturel et machine – rend a priori toute communication directe impossible, nous analysons les différents modes de communication des informations dans Stylo pour suivre les traces de l’intime qui y circulent. Pour en découvrir plus sur cet entre, nous étudions cette distance à partir de la méthode employée par le théoricien des médias F. Kittler (F. Kittler, 2018; 2015), qui s’appuie d’abord sur la description du fonctionnement de la machine à écrire puis celle de l’ordinateur afin de comprendre leur implication, en tant que média, dans le phénomène qu’est l’écriture. Cette méthode implique de comprendre les comportements et les fonctionnements techniques des composants à l’oeuvre dans la machine, et cela qu’ils relèvent du matériel ou du logiciel. En conséquence, nous mobilisons de la documentation technique pour étayer notre propos et pour analyser les traces qui nous intéressent.

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    Alors que chaque signe et chaque trace inscrite dans l’éditeur de texte Stylo incarne cette tension entre l’utilisateur et la machine, dont les différences de langage – naturel et machine – rend a priori toute communication directe impossible, nous analysons les différents modes de communication des informations dans Stylo pour suivre les traces de l’intime qui y circulent. Pour en découvrir plus sur cet entre, nous étudions cette distance à partir de la méthode employée par le théoricien des médias F. Kittler (F. Kittler, 2018; 2015), qui s’appuie d’abord sur la description du fonctionnement de la machine à écrire puis celle de l’ordinateur afin de comprendre leur implication, en tant que média, dans le phénomène qu’est l’écriture. Cette méthode implique de comprendre les comportements et les fonctionnements techniques des composants à l’oeuvre dans la machine, et cela qu’ils relèvent du matériel ou du logiciel. En conséquence, nous mobilisons de la documentation technique pour étayer notre propos et pour analyser les traces qui nous intéressent.

    Écrire dans un environnement numérique

    Définir l’environnement où écrire

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    Par habitude, nous partons du présupposé que lorsque nous évoquons les mots environnement d’écriture numérique ceux-ci sont synonymes d’un environnement d’écriture informatique et désignent la même chose. En conséquence, lorsqu’il s’agit de convoquer l’écriture numérique, nous pensons tout de suite à un ordinateur, aux claviers, aux écrans et aux pointeurs qui clignotent dans des éditeur de texte ou dans les champs des formulaires en ligne. Avec le numérique ubiquitaire (citton_angles_2023?), ces pratiques d’écriture sont ancrées dans nos habitudes au point de ne plus les remettre en question. Les dispositifs d’écriture analogique sont ainsi renvoyés à l’état de vestiges archaïques, comme peuvent l’être les machines à écrire alors qu’elles ont été fabriquées méticuleusement par des designers et des ingénieurs et ont fait la fierté et la renommée de certaines entreprises comme Olivetti en Italie juste avant que les ordinateurs n’arrivent sur le marché. Aujourd’hui ces machines sont complètement désuètes et inutilisées depuis presque une trentaine d’années. Elles sont maintenant exposées dans des musées – entre autres au MoMA et au Centre Pompidou – et sont intégrées dans des collections permanentes ou exhibées lors des expositions en lien avec les designers qui les ont conçues2.

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    Par habitude, nous partons du présupposé que lorsque nous évoquons les mots environnement d’écriture numérique ceux-ci sont synonymes d’un environnement d’écriture informatique et désignent la même chose. En conséquence, lorsqu’il s’agit de convoquer l’écriture numérique, nous pensons tout de suite à un ordinateur, aux claviers, aux écrans et aux pointeurs qui clignotent dans des éditeur de texte ou dans les champs des formulaires en ligne. Avec le numérique ubiquitaire (Citton et al., 2023), ces pratiques d’écriture sont ancrées dans nos habitudes au point de ne plus les remettre en question. Les dispositifs d’écriture analogique sont ainsi renvoyés à l’état de vestiges archaïques, comme peuvent l’être les machines à écrire alors qu’elles ont été fabriquées méticuleusement par des designers et des ingénieurs et ont fait la fierté et la renommée de certaines entreprises comme Olivetti en Italie juste avant que les ordinateurs n’arrivent sur le marché. Aujourd’hui ces machines sont complètement désuètes et inutilisées depuis presque une trentaine d’années. Elles sont maintenant exposées dans des musées – entre autres au MoMA et au Centre Pompidou – et sont intégrées dans des collections permanentes ou exhibées lors des expositions en lien avec les designers qui les ont conçues2.

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    Crédits : Photo trouvée sur le blog Munk.org, site consulté le 22 février 2024.

    Il faut se rappeler qu’au début des années 1980 il n’est pas encore certain que l’ordinateur personnel (avec sa tour et son écran à tube cathodique) deviendra l’outil d’écriture par excellence. À cette époque, les machines à écrire ont encore quelques avantages sur les plans esthétique, financier et social puisque on les retrouve encore implantées à la fois dans les sphères professionnelles et personnelles.

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    La fin des années 1970 et les années 1980 marquent un tournant décisif pour l’ordinateur personnel avec l’apparition des logiciels de traitement de texte et la bataille qui sévit durant toute cette période pour en avoir le monopole. M. Kirschenbaum et T. Bergin détaillent dans leurs travaux cette course au développement de logiciels durant cette période pour obtenir un monopole sur le marché (bergin_origins_2006?; bergin_proliferation_2006?; kirschenbaum_track_2016?). Avant l’engouement pour les interfaces graphiques et les gestionnaires de fenêtres – 1983 et 1984 avec l’entreprise Apple qui s’est largement inspirée des interfaces graphiques développées par Xerox PARC dans les années 1970 – la seule interface affichée à l’écran était un terminal et la navigation se faisait au moyen de commandes. Les premiers logiciels de traitement de texte comme Electric Pencil ne permettent pas alors une gestion de la mise en page idéale ni ne fonctionne sur tous les modèles d’ordinateurs présents sur le marché4. Ainsi, écrire sur un support connecté paraît aujourd’hui être une évidence alors qu’il a fallut déployer de lourds efforts à une époque ou cette évidence était incertaine.

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    L’écriture numérique est ainsi à distinguer de l’écriture dans un environnement numérique : un ordinateur, Internet, le Web, une calcultrice ou une machine à écrire de la dernière génération. En tant qu’abstraction, l’écriture numérique est une représentation du monde donnée, dont la qualification à travers un medium permet de l’incarner physiquement et matériellement mais pas de la circonscrire. En somme, cette représentation numérique du monde n’est pas nouvelle et ce n’est pas l’ordinateur qui l’a apporté. À notre connaissance, son origine remonte aux prémisses de l’écriture et des développements des systèmes monétaires, nous dirait C. Herrenschmidt (herrenschmidt_les_2023?).

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    La fin des années 1970 et les années 1980 marquent un tournant décisif pour l’ordinateur personnel avec l’apparition des logiciels de traitement de texte et la bataille qui sévit durant toute cette période pour en avoir le monopole. M. Kirschenbaum et T. Bergin détaillent dans leurs travaux cette course au développement de logiciels durant cette période pour obtenir un monopole sur le marché (Bergin, 2006a, 2006b; Kirschenbaum, 2016). Avant l’engouement pour les interfaces graphiques et les gestionnaires de fenêtres – 1983 et 1984 avec l’entreprise Apple qui s’est largement inspirée des interfaces graphiques développées par Xerox PARC dans les années 1970 – la seule interface affichée à l’écran était un terminal et la navigation se faisait au moyen de commandes. Les premiers logiciels de traitement de texte comme Electric Pencil ne permettent pas alors une gestion de la mise en page idéale ni ne fonctionne sur tous les modèles d’ordinateurs présents sur le marché4. Ainsi, écrire sur un support connecté paraît aujourd’hui être une évidence alors qu’il a fallut déployer de lourds efforts à une époque ou cette évidence était incertaine.

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    L’écriture numérique est ainsi à distinguer de l’écriture dans un environnement numérique : un ordinateur, Internet, le Web, une calcultrice ou une machine à écrire de la dernière génération. En tant qu’abstraction, l’écriture numérique est une représentation du monde donnée, dont la qualification à travers un medium permet de l’incarner physiquement et matériellement mais pas de la circonscrire. En somme, cette représentation numérique du monde n’est pas nouvelle et ce n’est pas l’ordinateur qui l’a apporté. À notre connaissance, son origine remonte aux prémisses de l’écriture et des développements des systèmes monétaires, nous dirait C. Herrenschmidt (2023).

    Dorénavant, lorsque nous ferons référence à l’écriture numérique nous parlerons d’une écriture numérique dans un environnement informatique.

    Les particularités de l’écriture numérique

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    Avant d’entamer une réflexion sur l’écriture numérique, convenons d’une brève définition de l’écriture, car celle-ci a fait couler beaucoup d’encre à son sujet, notamment depuis sa reconfiguration numérique au crépuscule du 20e siècle. La définir tient généralement de l’anthropologie, des lettres, de la sémiotique ou encore des sciences de l’information et de la communication ou de l’étude des médias et cela pour ne mentionner que certaines disciplines de la sphère académique. Très largement, l’écriture est entendue comme « mode d’expression » et « fonction de communication » au sein d’une société (christin_les_1999?). Anne-Marie Christin distingue deux tendances principales de l’origine de l’écriture : l’écriture selon la trace, étant soit comprise comme le signe verbal transposé sur un support soit comme la marque laissée par un corps, ou l’écriture selon le signe dans son sens étymologique d’« événement inaugural [qui] participe d’une révélation » tant qu’il s’inscrit dans un « système » tel que la disposition des entrailles d’une bête sacrifiée lors d’une cérémonie (christin_les_1999?; vitali-rosati_quest-ce_2020?). À défaut de prendre parti pour l’un ou l’autre de ces paradigmes, nous pouvons retenir deux caractéristiques qui leur sont communes et que l’on retrouve dans tous types d’écriture, même numérique. Lorsque l’écriture est convoquée, elle fait appel à deux actions : l’inscription et l’interprétation. Qu’il s’agisse d’une trace ou d’un signe, retenons que l’écriture est toujours inscrite sur un support et que cette inscription fait l’objet d’une lecture et d’une interprétation. Cette association apparaît régulièrement dans les travaux qui traitent de l’environnement numérique, par exemple sous l’appellation de littératie numérique chez Milad Doueihi (doueihi_grande_2011?) ou de lettrure chez Emmanuel Souchier (souchier__2012?).

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    Toutefois, l’écriture numérique diffère d’une écriture plus traditionnelle, telle que nous venons de la défnir, et se distingue notamment par trois caractéristiques que sont la calculabilité (crozat_ecrire_2016?), la variabilité (bouchardon_lecriture_2014?) et la rupture sémiotique entre le geste d’écriture et l’inscription sur le support (Souchier, 2019).

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    Avant d’entamer une réflexion sur l’écriture numérique, convenons d’une brève définition de l’écriture, car celle-ci a fait couler beaucoup d’encre à son sujet, notamment depuis sa reconfiguration numérique au crépuscule du 20e siècle. La définir tient généralement de l’anthropologie, des lettres, de la sémiotique ou encore des sciences de l’information et de la communication ou de l’étude des médias et cela pour ne mentionner que certaines disciplines de la sphère académique. Très largement, l’écriture est entendue comme « mode d’expression » et « fonction de communication » au sein d’une société (Christin, 1999). Anne-Marie Christin distingue deux tendances principales de l’origine de l’écriture : l’écriture selon la trace, étant soit comprise comme le signe verbal transposé sur un support soit comme la marque laissée par un corps, ou l’écriture selon le signe dans son sens étymologique d’« événement inaugural [qui] participe d’une révélation » tant qu’il s’inscrit dans un « système » tel que la disposition des entrailles d’une bête sacrifiée lors d’une cérémonie (Christin, 1999; Vitali-Rosati, 2020). À défaut de prendre parti pour l’un ou l’autre de ces paradigmes, nous pouvons retenir deux caractéristiques qui leur sont communes et que l’on retrouve dans tous types d’écriture, même numérique. Lorsque l’écriture est convoquée, elle fait appel à deux actions : l’inscription et l’interprétation. Qu’il s’agisse d’une trace ou d’un signe, retenons que l’écriture est toujours inscrite sur un support et que cette inscription fait l’objet d’une lecture et d’une interprétation. Cette association apparaît régulièrement dans les travaux qui traitent de l’environnement numérique, par exemple sous l’appellation de littératie numérique chez Milad Doueihi (2011) ou de lettrure chez Emmanuel Souchier (2012).

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    Toutefois, l’écriture numérique diffère d’une écriture plus traditionnelle, telle que nous venons de la défnir, et se distingue notamment par trois caractéristiques que sont la calculabilité (Crozat, 2016), la variabilité (Bouchardon, 2014) et la rupture sémiotique entre le geste d’écriture et l’inscription sur le support (Souchier, 2019).

    La première caractéristique est d’ordre computationnel : l’écriture devient calculable et peut donc faire l’objet d’instructions. Pour réaliser cette action, on procède à une équivalence où chaque signe que l’on peut inscrire dans cet environnement à son pendant unique sous forme de bits. Lorsque chaque caractère peut être identifié en tant que nombre, il devient possible d’implémenter ce modèle dans une machine et de lui demander, grâce à des instructions, d’appliquer des calculs.

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    L’exemple idéal pour illustrer cette caractéristique n’est rien de moins que la machine imaginée par Alan Turing, qu’il présente en 1936 dans son article « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem » dans la section Computing machines (turing_computable_1936?). Ce que Turing décrit n’est pas une machine physique mais un modèle théorique, une machine abstraite fondamentale pour les développements futurs de l’informatique. Cette machine est constituée de plusieurs éléments :

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    L’exemple idéal pour illustrer cette caractéristique n’est rien de moins que la machine imaginée par Alan Turing, qu’il présente en 1936 dans son article « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem » dans la section Computing machines (1936). Ce que Turing décrit n’est pas une machine physique mais un modèle théorique, une machine abstraite fondamentale pour les développements futurs de l’informatique. Cette machine est constituée de plusieurs éléments :

    Théoriquement le ruban sur lequel la machine exécute ses programmes est infini vers la gauche et la droite et cela afin de permettre l’exécution des instructions les plus complexes. La machine de Turing ne s’intéresse pas aux résultats des instructions ni à leur signification, d’où résulte une forme d’automatisation de l’écriture. L’espace de la machine, aussi vaste soit-il, n’est composé que de séries de 0 et de 1 ainsi que de différents états, renvoyant à des instructions et permettant ainsi à la machine de modifier son propre espace. Cette capacité de modification peut être associée à la deuxième caractéristique de l’écriture numérique que S. Bouchardon nomme la variabilité.

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    Le passage du signe à l’unité atomique et discrète qu’est le chiffre signifie un changement de représentation du monde (au sens que K. Hayles donne au terme worldview (hayles_my_2005?)) : le monde – ou l’espace – n’est alors plus signifié par des mots ou des concepts, mais le devient par des chiffres. Comme McLuhan nous le rappelle dans son ouvrage Pour comprendre les médias (1977), les alphabets composés de lettres (contrairement à ceux composés de pictogrammes) sont asémantiques. Si toutefois les alphabets sont liés à une culture d’où ils émergent, l’abstraction nécessaire pour représenter le monde sous forme de chiffres détacherait a priori cette vision de tout sens. En dehors de tout modèle mathématiques abstrait, et cela quel que soit le langage ou la base utilisée pour l’écrire, 3, trois, three, III, 0011, zéro zéro un un, un chiffre ne signifie pas grand chose s’il n’est pas associé à un système de valeurs particulier, par exemple le système métrique ou le système international (herrenschmidt_trois_2023?). En échange de cette perte de signification, l’écriture numérique y gagne cette particularité d’être calculable et mesurable.

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    L’écriture numérique se distingue également des autres types d’écriture par une troisième caractéristique. Il s’agit de la première forme d’écriture où le geste d’écrire ne correspond pas à l’action d’inscription du signe sur son support, phénomène que J. Bonaccorsi nomme déliaison (bonaccorsi_fantasmagories_2020?). Lorsqu’on appuie sur une touche du clavier, par exemple la lettre a, cette lettre n’est pas inscrite à l’écran : l’instruction d’inscrire un signe dans la mémoire de l’ordinateur est donnée à la machine, puis celle de l’afficher à l’écran au moyen d’un logiciel particulier (F. A. Kittler, 2015; Souchier, 2019). Néanmoins, le fait d’appuyer sur une touche du clavier lorsque l’ordinateur est sous tension ne suffit pas pour déclencher cette instruction : si aucun environnement dédié à l’écriture n’est préalablement exécuté, le fait d’enfoncer une touche ne déclenchera aucune réaction de la part de la machine. Par contre, lorsque l’on se situe dans un environnement où cette réaction est attendue, comme un éditeur de texte, la frappe d’une touche déclenchera un événement et le logiciel pourra générer l’instruction correspondant à l’action d’écrire.

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    Ces trois caractéristiques de l’écriture numérique ne sont pas uniquement des propriétés qui s’ajoutent à l’existant et, d’une certaine manière, rendrait l’écriture plus complexe. L’écriture, nous l’avons évoqué, peut être ramenée aux actions d’inscription dans la matière et de lecture. Or, la calculabilité, la variabilité et la déliaison entre geste et inscription perturbent notre définition de l’écriture puisque l’inscription et la lecture des signes et/ou traces sur le support numérique sont des actions réalisées par la machine et ne le sont plus par l’être humain, comme le souligne F. Kittler (kittler?). F. Kittler poursuit sa réflexion plus loin jusqu’à soutenir, de manière provocatrice, que l’humain n’écrit plus et qu’à l’ère du numérique, c’est la machine qui écrit. À défaut de prendre cette provocation au pied de la lettre, elle ouvre la perspective d’une machine qui participe et contribue à l’écriture et, ce faisant, participerait à la production de l’intimité du chercheur.

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    Le passage du signe à l’unité atomique et discrète qu’est le chiffre signifie un changement de représentation du monde (au sens que K. Hayles donne au terme worldview (2005)) : le monde – ou l’espace – n’est alors plus signifié par des mots ou des concepts, mais le devient par des chiffres. Comme McLuhan nous le rappelle dans son ouvrage Pour comprendre les médias (1977), les alphabets composés de lettres (contrairement à ceux composés de pictogrammes) sont asémantiques. Si toutefois les alphabets sont liés à une culture d’où ils émergent, l’abstraction nécessaire pour représenter le monde sous forme de chiffres détacherait a priori cette vision de tout sens. En dehors de tout modèle mathématiques abstrait, et cela quel que soit le langage ou la base utilisée pour l’écrire, 3, trois, three, III, 0011, zéro zéro un un, un chiffre ne signifie pas grand chose s’il n’est pas associé à un système de valeurs particulier, par exemple le système métrique ou le système international (Herrenschmidt, 2023). En échange de cette perte de signification, l’écriture numérique y gagne cette particularité d’être calculable et mesurable.

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    L’écriture numérique se distingue également des autres types d’écriture par une troisième caractéristique. Il s’agit de la première forme d’écriture où le geste d’écrire ne correspond pas à l’action d’inscription du signe sur son support, phénomène que J. Bonaccorsi nomme déliaison (Bonaccorsi, 2020). Lorsqu’on appuie sur une touche du clavier, par exemple la lettre a, cette lettre n’est pas inscrite à l’écran : l’instruction d’inscrire un signe dans la mémoire de l’ordinateur est donnée à la machine, puis celle de l’afficher à l’écran au moyen d’un logiciel particulier (F. A. Kittler, 2015; Souchier, 2019). Néanmoins, le fait d’appuyer sur une touche du clavier lorsque l’ordinateur est sous tension ne suffit pas pour déclencher cette instruction : si aucun environnement dédié à l’écriture n’est préalablement exécuté, le fait d’enfoncer une touche ne déclenchera aucune réaction de la part de la machine. Par contre, lorsque l’on se situe dans un environnement où cette réaction est attendue, comme un éditeur de texte, la frappe d’une touche déclenchera un événement et le logiciel pourra générer l’instruction correspondant à l’action d’écrire.

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    Ces trois caractéristiques de l’écriture numérique ne sont pas uniquement des propriétés qui s’ajoutent à l’existant et, d’une certaine manière, rendrait l’écriture plus complexe. L’écriture, nous l’avons évoqué, peut être ramenée aux actions d’inscription dans la matière et de lecture. Or, la calculabilité, la variabilité et la déliaison entre geste et inscription perturbent notre définition de l’écriture puisque l’inscription et la lecture des signes et/ou traces sur le support numérique sont des actions réalisées par la machine et ne le sont plus par l’être humain, comme le souligne F. Kittler (F. A. Kittler, 2015). F. Kittler poursuit sa réflexion plus loin jusqu’à soutenir, de manière provocatrice, que l’humain n’écrit plus et qu’à l’ère du numérique, c’est la machine qui écrit. À défaut de prendre cette provocation au pied de la lettre, elle ouvre la perspective d’une machine qui participe et contribue à l’écriture et, ce faisant, participerait à la production de l’intimité du chercheur.

    Seulement, la “machine” ou l’“ordinateur” sont des appellations un peu vagues et ne rendent pas très explicite les éléments qu’elles désignent, ni ceux qui sont impliqués dans cette action d’écriture et dans cette relation intime entre humain et machine.

    La machine, une entité formée du couple matériel/logiciel

    La représentation d’un ordinateur est souvent associée à un couple matériel / logiciel. La partie matérielle concerne tous les composants électroniques (carte mère, mémoires, périphériques, etc.), alors que la partie logicielle englobe tous les programmes permettant d’interagir avec la partie matérielle, comme le BIOS (Basic Input Output System), le système d’exploitation ou encore un logiciel de traitement de texte comme LibreOffice.

    @@ -127,8 +126,8 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    L’encodage et le décodage des caractères accompagne toute l’histoire de l’informatique (et du numérique). Aux prémices de l’informatique, chaque matériel comportait ses propres programmes et tables d’encodage, rendant ainsi possible la transposition des données d’un matériel à un autre par équivalence. Cependant, dans la plupart des cas, les données ne pouvaient pas circuler entre les différents modèles d’ordinateur, ou alors au moyen de transformations fastidieuses, rendant ainsi les traitements réalisés sur les données enfermés dans des silos. La norme ASCII (American Standard Code for Information Interchange) fait son apparition dans les années 1960 pour résoudre l’enjeu d’interopérabilité de l’encodage des données. Soumise à l’American Standards Association (d’abord ASA puis ANSI) en 1961 par l’un de ses inventeurs, Bob Bemer, puis approuvée en 1963, l’ASCII permet d’encoder 128 caractères sur 7 bits. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un encodage est reconnue en tant que norme que son usage est effectif à l’instant même de sa reconnaissance. Il faut attendra 1968 que le président des États-Unis d’Amérique Johnson demande à ce que l’ASCII devienne la norme fédérale d’encodage des informations afin de réduire les incompatibilités au sein des réseaux de télécommunication pour qu’elle commence à se répandre. Dès 1969, tous les ordinateurs achetés par le gouvernement des États-Unis étaient compatibles avec la norme ASCII. Du côté des ordinateurs personnels, il faudra attendre le début des années 1980 pour que cette norme se répande grâce, entre autre, à son implémentation dans les ordinateurs construits par IBM. La norme X3.4:1986 en vigueur aujourd’hui, a été déposée auprès de l’ANSI en 1986. C’est à partir de cette norme que d’autres ont été développées et restent compatibles ASCII, comme c’est par exemple le cas de la norme Unicode, publiée en 1991, qui est la plus répandue de nos jours puisqu’elle encode le plus de caractères. Si ASCII contient 128 points de code, le standard Unicode permet d’en encoder plus de 149 000 sur une vingtaine de bits par point de code dans sa version 15.1 (de 2023). Afin de préserver cette compatibilité entre les normes, il est d’usage d’encoder les 128 premiers caractères de façon identique à la norme ASCII.

    Il est intéressant d’introduire les logiciels et leur fonctionnement à partir du matériel composant l’ordinateur et plus particulièrement à partir de la carte mère. Les fournisseurs de carte mère incorpore généralement dans leur carte une première couche d’abstraction matérielle, un BIOS (Basic Input Output System7), flashé dans la mémoire morte de l’ordinateur et programmé pour s’exécuter lors de la mise sous tension de ce dernier. Ce que l’on appelle couche d’abstraction matérielle en informatique représente la couche logicielle qui se trouve entre la partie matérielle et le système d’exploitation. Comme son nom l’indique, la fonction principale de cette couche est de permettre la manipulation du matériel tout en faisant abstraction de celui-ci. Le BIOS, ce tout premier jeu d’instructions qu’un ordinateur réalise, est un programme propriétaire chargé d’initialiser la séquence d’amorçage (boot) de l’ordinateur, de trouver le système d’exploitation, les périphériques (a minima le clavier et l’écran) et d’opérer quelques vérifications de bon fonctionnement des composants comme c’est le cas de l’horloge temps réel qui fonctionne en tout temps, même lorsque l’ordinateur est éteint, et rythme la totalité des cycles des autres circuits. Hormis quelques rares initiatives telles que Libreboot8 et Coreboot9, des logiciels libres et open sources chargés de remplacer partiellement le BIOS propriétaire, la majorité des cartes mères sont liées à leur BIOS du fait de l’ajout par Intel, à partir de 2006, d’un sous programme nommé Management Engine (ME) qui est accompagné d’un ensemble de modules comme Boot Guard et Secure Boot dont l’objectif est de veiller à ce qu’il n’y ait pas de corruption du système d’amorçage de l’ordinateur10. Ces programmes ont sans cesse été améliorés depuis leur introduction en 2006 et, aujourd’hui, ils empêchent toute modification de cette couche logicielle, la plus basse d’un ordinateur, si celle-ci n’est pas vérifiée et validée (avec un système de clés cryptées) par la firme propriétaire/fabricante.

    Le BIOS est donc l’interface entre l’utilisateur et la machine qui nous permet de manipuler les différentes entrées et sorties du système, donc de gérer les périphériques, fonction que le système d’exploitation peut également réaliser une fois que la phase d’amorçage est terminée. Le système d’exploitation (OS pour Operating System), est un niveau d’abstraction supplémentaire et se retrouve à l’interface entre les applications logicielles et la couche matérielle. Un OS est composé d’un ensemble de programmes permettant la bonne gestion des ressources de l’ordinateur : mémoires, calculs, périphériques, les registres, etc. Chaque OS a un fonctionnement qui lui est propre : l’architecture des informations – l’arborescence des dossiers, l’indexation des documents et des fichiers binaires change selon l’OS utilisé –, l’ordonnancement des tâches pour le processeur ou encore l’allocation de la mémoire. Malgré le fait que ce n’a pas toujours été le cas, les applications logicielles sont installés à l’intérieur des systèmes d’exploitation et prêts à être exécutés. Le passage par un système d’exploitation permet aux logiciels de ne plus dépendre d’un modèle particulier du hardware et d’en faire justement abstraction, le rendant ainsi opérable sur différentes machines.

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    Ce tour d’horizon des particularités de l’écriture numérique et de l’agencement entre logiciel et matériel dans la machine nous montre que la conception de la machine ne permet pas à un auteur d’y inscrire des signes dans sa mémoire, ni de pouvoir les consulter directement puisqu’elle lui est inaccessible à moins qu’un intermédiaire ne servent d’interface. La médiation entre une machine et un auteur se fait au moyen d’un langage compréhensible par les deux parties, que l’on assemble sous la forme d’instructions qui, une fois empaquetées, forment un logiciel. Pour symboliser la médiation du matériel par la mise en place du logiciel à l’interface de l’humain et de la machine, l’entreprise Microsoft emploie la métaphore de la fenêtre (window(s)) à travers laquelle l’usager voit le numérique, et donc l’ordinateur. Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre, quelle que soit la fenêtre logicielle, elle ne permet d’accéder qu’à un certain nombre fini d’instructions. Alors qu’en tant qu’appareil programmable qui ne se souci pas de la signification du traitement des informations ni des résultats obtenus, l’ordinateur semble être un environnement beaucoup plus vaste que ce que cette fenêtre ne nous laisse croire (turing_computable_1936?). Plutôt qu’une fenêtre comme ouverture ou passage vers le numérique, il serait plus juste de considérer cette fenêtre comme une vision du monde parmi d’autres. Cette vision du monde n’est pas seulement une vision particulière que l’humain a de la machine car dans ce cas nous serions dans un paradigme anthropocentré et utilitariste de la machine. En nous déplaçant de l’autre côté de la fenêtre, on se rend compte que la vision que porte la machine sur le monde est différente de la notre : la machine incarne une autre vision du monde sous forme de matrice, où chaque élément qu’elle perçoit l’est sous forme binaire. Le monde n’est alors plus que chiffres, calculs et distances, comme c’est le cas de la proposition de K. Hayles lorsqu’elle remplace Mère Nature par une Matrice (hayles_my_2005?).

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    Un début de relation s’instaure entre l’humain et la machine grâce à l’entremise du logiciel. À travers cette interface, lorsque l’on touche une lettre du bout du doigt, la machine devient alors accessible et l’impulsion (électrique) que cette action génère se transforme en une lettre à l’écran. Pour autant, cette accessibilité est-elle synonyme de mise en visibilité ? Le fait que “ça marche” rendrait-il le document visible ? C’est le rôle de l’interface graphique et des métaphores qu’elle véhicule que de cacher le fonctionnement même de la machine (jeanneret_y-t-il_2011?). La déliaison convoquée par Bonaccorsi (bonaccorsi_fantasmagories_2020?) prend place dès cet instant dans le processus d’écriture puisqu’il ne s’agit pas seulement de délier le geste de l’inscription mais également de faire abstraction de tout le processus d’écriture au-delà du geste. Ainsi, le logiciel aurait une double fonctionnalité : la première est une médiation qui ouvre le dialogue avec la machine tandis que la seconde en fait abstraction et la cache, ce qui a pour effet de rendre la machine quasiment invisible à l’utilisateur. Cependant, que découvrons-nous lorsque nous retirons ce voile devant la fenêtre ? Là se dévoile un vaste écosystème constitué de formats, des protocoles et leurs flux d’informations et de documents, parfois temporaires, voyageant d’une étape à une autre, prenant forme et se transformant pour suivre un cheminement prédéfini jusqu’à la création d’un document final que l’utilisateur récupère. Chacune de ces fenêtres offre finalement une vision particulière d’un document et un modèle épistémologique qui lui est propre (Vitali-Rosati, 2018).

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    Ce tour d’horizon des particularités de l’écriture numérique et de l’agencement entre logiciel et matériel dans la machine nous montre que la conception de la machine ne permet pas à un auteur d’y inscrire des signes dans sa mémoire, ni de pouvoir les consulter directement puisqu’elle lui est inaccessible à moins qu’un intermédiaire ne servent d’interface. La médiation entre une machine et un auteur se fait au moyen d’un langage compréhensible par les deux parties, que l’on assemble sous la forme d’instructions qui, une fois empaquetées, forment un logiciel. Pour symboliser la médiation du matériel par la mise en place du logiciel à l’interface de l’humain et de la machine, l’entreprise Microsoft emploie la métaphore de la fenêtre (window(s)) à travers laquelle l’usager voit le numérique, et donc l’ordinateur. Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre, quelle que soit la fenêtre logicielle, elle ne permet d’accéder qu’à un certain nombre fini d’instructions. Alors qu’en tant qu’appareil programmable qui ne se souci pas de la signification du traitement des informations ni des résultats obtenus, l’ordinateur semble être un environnement beaucoup plus vaste que ce que cette fenêtre ne nous laisse croire (Turing, 1936). Plutôt qu’une fenêtre comme ouverture ou passage vers le numérique, il serait plus juste de considérer cette fenêtre comme une vision du monde parmi d’autres. Cette vision du monde n’est pas seulement une vision particulière que l’humain a de la machine car dans ce cas nous serions dans un paradigme anthropocentré et utilitariste de la machine. En nous déplaçant de l’autre côté de la fenêtre, on se rend compte que la vision que porte la machine sur le monde est différente de la notre : la machine incarne une autre vision du monde sous forme de matrice, où chaque élément qu’elle perçoit l’est sous forme binaire. Le monde n’est alors plus que chiffres, calculs et distances, comme c’est le cas de la proposition de K. Hayles lorsqu’elle remplace Mère Nature par une Matrice (Hayles, 2005).

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    Un début de relation s’instaure entre l’humain et la machine grâce à l’entremise du logiciel. À travers cette interface, lorsque l’on touche une lettre du bout du doigt, la machine devient alors accessible et l’impulsion (électrique) que cette action génère se transforme en une lettre à l’écran. Pour autant, cette accessibilité est-elle synonyme de mise en visibilité ? Le fait que “ça marche” rendrait-il le document visible ? C’est le rôle de l’interface graphique et des métaphores qu’elle véhicule que de cacher le fonctionnement même de la machine (Jeanneret, 2011). La déliaison convoquée par Bonaccorsi (Bonaccorsi, 2020) prend place dès cet instant dans le processus d’écriture puisqu’il ne s’agit pas seulement de délier le geste de l’inscription mais également de faire abstraction de tout le processus d’écriture au-delà du geste. Ainsi, le logiciel aurait une double fonctionnalité : la première est une médiation qui ouvre le dialogue avec la machine tandis que la seconde en fait abstraction et la cache, ce qui a pour effet de rendre la machine quasiment invisible à l’utilisateur. Cependant, que découvrons-nous lorsque nous retirons ce voile devant la fenêtre ? Là se dévoile un vaste écosystème constitué de formats, des protocoles et leurs flux d’informations et de documents, parfois temporaires, voyageant d’une étape à une autre, prenant forme et se transformant pour suivre un cheminement prédéfini jusqu’à la création d’un document final que l’utilisateur récupère. Chacune de ces fenêtres offre finalement une vision particulière d’un document et un modèle épistémologique qui lui est propre (Vitali-Rosati, 2018).

    Dans la partie suivante, nous étudions le logiciel Stylo à partir de l’écran comme interface d’échange de signes entre les deux protagonistes, utilisateur et machine, puis, en dépassant cette surface, et en nous dégageant du prisme essentialiste, nous démontrerons que les différents agents d’un environnement – principalement logiciels et humain – sont des dynamiques qui, lorsqu’elles sont agencées dans une configuration particulière, co-construisent l’écriture.

    [détailler le prisme essentialiste en une phrase ou deux]

    Une médiation par l’écrit

    @@ -136,7 +135,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    Sans l’intervention du logiciel entre l’être humain et la machine, il ne serait pas possible pour un auteur d’écrire sur le support de l’inscription numérique. Si l’on considère l’écriture comme le geste d’inscrire une trace ou un signe sur un support, alors l’écriture numérique n’est plus un fait humain mais un acte réalisé par l’ordinateur lui-même.

    L’interaction entre un humain et une machine consiste, comme nous l’avons vu, en une série d’instructions que donne l’utilisateur à la machine qui, ensuite, les exécute. Le mécanisme sous-jacent à ce que l’on considère communément comme l’écriture numérique – frapper une touche du clavier et voir la lettre s’afficher à l’écran – s’avère être plus complexe. Le moment de la frappe n’est plus le moment où le symbole que l’on voit figurer sur la touche du clavier est inscrit dans le disque dur, il s’agit plutôt du moment où une instruction est donnée à l’ordinateur qui ensuite se charge d’inscrire la lettre correspondante sur le disque dur. Si l’on se trouve dans le cas de figure de la saisie d’un texte dans un éditeur de texte, l’instruction suivante, selon les logiciels et les actions souhaitées, consiste à afficher à l’écran le symbole encodé dans la mémoire de l’ordinateur.

    Pour réaliser cette suite d’actions, Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier partent de ce constat qu’il n’est pas possible d’écrire un texte numérique sans qu’un autre texte soit déjà présent pour réaliser cette action. Ce texte particulier qui pré-existe toute activité numérique est nommé architexte (Souchier, 2019).

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    L’architexte est un concept d’abord employé par Gérard Genette (genette_introduction_1979?) et désigne « l’ensemble des catégories générales, ou transcendantes – types de discours, modes d’énonciations, genre littéraires, etc. –, dont relève chaque texte singulier ».

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    L’architexte est un concept d’abord employé par Gérard Genette (1979) et désigne « l’ensemble des catégories générales, ou transcendantes – types de discours, modes d’énonciations, genre littéraires, etc. –, dont relève chaque texte singulier ».

    En 2019, dans leur ouvrage intitulé Le numérique comme écriture, G. Gomez Mejia, W. Candel et E. Souchier résument l’architexte numérique comme :

    Initialement défini comme “écriture d’écriture” puis comme un “dispositif d’écriture écrit”, l’architexte s’avère être un point de passage obligé pour toute activité numérique. Il n’y a effectivement pas d’écriture à l’écran sans un architexte qui la rend possible, l’accompagne et la formate. Pour la première fois de son histoire, l’homme a donc recours à des “dispositifs d’écriture écrits” spécifiques pour pouvoir pratiquer une activité d’écriture (E. Souchier, 1998, 2013). Or, précisément en ce qu’ils sont “eux-mêmes écrits”, les architextes “sont des textes lisibles et interprétables. Porteurs et prescripteurs d’une écriture à venir, ils anticipent de ce fait une figure de l’auteur” (É. Candel, G. Gomez Mejia, 2013) et relèvent donc de “l’énonciation éditoriale” (E. Souchier, 1998).

    @@ -149,7 +148,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
  • le logiciel
  • le document
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    Le premier cadre, matériel, désigne toute la composante physique de l’ordinateur et surtout l’écran sur lequel est affiché le texte. Le cadre système, quant à lui, est associé à la couche permettant de générer un environnement d’écriture numérique, initialisé par le BIOS et par le démarrage du système d’exploitation qui constitue le deuxième élément principal du cadre système. Le cadre logiciel est relatif à l’ensemble des logiciels que l’on peut exécuter dans un système d’exploitation, par exemple un terminal, un navigateur ou un traitement de textes. Enfin, le dernier cadre est celui du document. Le document doit être compris comme un objet, ou une forme déterminée, à l’intérieur duquel des éléments sémiotiques sont organisés et structurés (Zacklad, 2019; pedauque_document_2006?).

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    Le premier cadre, matériel, désigne toute la composante physique de l’ordinateur et surtout l’écran sur lequel est affiché le texte. Le cadre système, quant à lui, est associé à la couche permettant de générer un environnement d’écriture numérique, initialisé par le BIOS et par le démarrage du système d’exploitation qui constitue le deuxième élément principal du cadre système. Le cadre logiciel est relatif à l’ensemble des logiciels que l’on peut exécuter dans un système d’exploitation, par exemple un terminal, un navigateur ou un traitement de textes. Enfin, le dernier cadre est celui du document. Le document doit être compris comme un objet, ou une forme déterminée, à l’intérieur duquel des éléments sémiotiques sont organisés et structurés (Pédauque, 2006; Zacklad, 2019).

    Ces cadres sont un début de réponse au dépassement de l’écran. Néanmoins, plutôt que d’approfondir cette dimension invisible du texte, les auteurs de l’architexte reviennent sur la couche graphique en ajoutant qu’« à cet enchâssement de cadres, il faudrait encore ajouter ceux que composent, à l’intérieur même du document, les rubriques, encadrés, cartouches, “boîtes de dialogue” ou autres formes de cadres éditoriaux structurants pour le travail même du texte ».

    De plus, toujours selon les auteurs :

    @@ -158,26 +157,26 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    Ce premier cadre de « l’écrit d’écran » ne désigne en fin de compte, pour les auteurs, que l’écran. Or, il n’est pas nommé cadre écran mais cadre matériel et devrait renvoyer à toute la dimension physique d’un ordinateur et pas seulement à l’organe d’affichage qui, dans cette disposition, apparaît comme central dans le fonctionnement d’un ordinateur.

    Le dépassement de l’écran est un acte symbolique nécessaire pour se soustraire à une vision anthropocentrée des actions de lecture et d’écriture. Pour effectuer ce changement de perspective, nous devons d’abord nous débarasser d’un élément central à l’interface de l’humain et la machine : la page.

    La page est un doudou

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    Le terme page revient de manière récurrente dans nos usages de l’ordinateur : on le retrouve dans les logiciels de traitement de textes – il y a même un logiciel du nom de Pages disponible dans l’environnement Apple –, dans les livres numériques ou encore dans le Web où chaque URL est l’adresse d’une page. Matthew Kirschenbaum et Thomas Bergin nous détaillent dans leurs travaux l’arrivée de la page sur nos écrans durant les années 1970 et le début des années 1980 (kirschenbaum_track_2016?; bergin_origins_2006?; bergin_proliferation_2006?).

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    Le terme page revient de manière récurrente dans nos usages de l’ordinateur : on le retrouve dans les logiciels de traitement de textes – il y a même un logiciel du nom de Pages disponible dans l’environnement Apple –, dans les livres numériques ou encore dans le Web où chaque URL est l’adresse d’une page. Matthew Kirschenbaum et Thomas Bergin nous détaillent dans leurs travaux l’arrivée de la page sur nos écrans durant les années 1970 et le début des années 1980 (Bergin, 2006a, 2006b; Kirschenbaum, 2016).

    Cet objet qu’est la page a été instauré dans l’ordinateur uniquement pour reproduire une « habitude » et créer un lien fictif entre les visions du monde de l’imprimerie et de l’informatique. Cet artefact produit une forme de réconfort auprès de l’utilisateur pour que le monde informatique lui semble plus tangible, qu’il ait quelque chose auquel se raccrocher, d’où sa déclinaison dans des espaces différents qui ne ressemblent plus du tout à des pages de livres ou de feuilles (comme par exemple A4 lettre US, ou le livre au format poche). La page affichée à l’écran n’existe qu’à cet endroit, il ne s’agit que d’un rendu graphique qui ne fait pas partie de l’écriture (au sens du texte saisi).

    Le pouvoir de la page sur l’utilisateur est considérable étant donnée la nature même de cet objet que l’on pourrait considérer comme l’un des seuls à être virtuel et presque sans matérialité du point de vue de l’informatique. Malgré tous les efforts effectués depuis son instauration à l’écran, la page affichée n’est jamais la page imprimée car, aussi précis que soient les détails typographiques que l’on peut y ajuster, elle ne reflétera jamais le grain, l’épaisseur, l’odeur ou tout autre caractéristique physique du papier.

    La critique énoncée à l’endroit de la page ne doit pas être réduite à une apologie d’un mode sans page. Elle consiste à montrer qu’à vouloir préserver une habitude pour ne pas effrayer l’utilisateur, la page fait écran devant l’ordinateur, et cache la machine qui ne devient plus qu’un simple mécanisme au lieu d’être un agent de l’énonciation éditoriale.

    Cette peur de l’informatique pourrait relever essentiellement de l’angoise de l’arrachement d’une valeur qui définie l’être humain et devienne une caractéristique d’une autre entité, ne permettant plus de définir l’humain en regard de ce que lui seul est capable de faire (Vitali-Rosati).

    Kittler, à ce propos, nous rappelle qu’historiquement les caractéristiques qui définissent l’être humain sont souvent le symbole du pouvoir et désigne plutôt les hommes alors qu’à l’instant même où cette caractéristique est déchue de son statut de marqueur de puissance, ce sont les femmes qui en héritent. Dans le cas de l’écriture – dactylographie et sténographie–, elles en deviennent les expertes dès 1881, au moment même où les ventes de la machine à écrire Remington II explosent alors que chute le pourcentage d’hommes dans ce domaine (F. Kittler, 2018, p. 306). La Remington Model II de 1878 comporte une particularité, il s’agit de la première machine à écrire comportant une touche SHIFT pour avoir les hauts de casse et les bas de casse sur le même clavier, pourtant, malgré cette nouvelle fonctionnalité, les ventes ne se développèrent pas dès cette date. En 1881, l’entreprise modifie sa stratégie de vente et cible les femmes qui n’ont pas de travail. En parallèle, l’Association chrétienne de jeunes femmes de New York commence à former des jeunes femmes à la dactylographie, fait qui a été ensuite reproduit en Europe du à son succès (F. Kittler, 2018, p. 322). Il y aurait donc une peur de perdre non seulement une caractéristique de l’humanité mais surtout une caractéristique de la masculinité.

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    Néanmoins, avant d’en arriver à cette émotion forte qu’est la peur et qui traduit une incapacité à définir l’être humain, nous pouvons nous appuyer sur la pensée de Gunther Anders et convoquer une forme de honte (anders_obsolescence_2002?) que la page camoufle.

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    Néanmoins, avant d’en arriver à cette émotion forte qu’est la peur et qui traduit une incapacité à définir l’être humain, nous pouvons nous appuyer sur la pensée de Gunther Anders et convoquer une forme de honte (Anders, 2002) que la page camoufle.

    Interagir avec une machine demande une certaine rigueur : qu’il s’agisse de structurer un document ou de lui donner une série d’instructions (du code), une machine ne peut interpréter l’ambiguité ou l’implicite culturel. Cela voudrait dire qu’aucun échange humain-ordinateur ne peut reposer sur des conventions culturelles de lecture et que l’instruction données n’a, en elle-même, aucun sens. Dès lors, comment pouvons-nous admettre que quelque chose qui n’a pas de sens puisse en générer ?

    La honte (prométhéenne) d’Anders est alors double : d’un côté il y a un mélange de fierté devant cette machine créée par l’être humain et de honte parce que l’individu isolé devant la machine sait que ce n’est pas lui qui l’a mise au point et, de l’autre, il y a cette honte à être face à un outil qui réalise une action mieux qu’on ne le ferait soi-même alors que cette dite machine n’a aucune conscience de ce qu’elle réalise.

    Le dépassement de la page et de l’écran est une proposition pour poser un autre regard non anthrocopentré sur cette question de l’écriture numérique et laisser de côté les modalités de définition de l’être humain. Elle signifie qu’il ne s’agit plus de poser la question de l’auteur de l’écriture, en admettant que c’est bien la machine qui écrit, mais de se demander comment comment cette nouvelle fonction (inter)agit entre les agents d’un système d’informations. Que se passe-t-il lorsque cet ordinateur devient un agent actif qui écrit et transmet des informations entre, d’une part, l’instructeur (la personne qui donne des instructions) et la ou les personnes qui lisent les productions issues du traitement de ces instructions (les productions écrites) ? Dans cette configuration s’opère alors un changement radical de l’état de l’ordinateur. D’abord à l’état de médiateur puis de support de l’écriture, l’ordinateur passe maintenant au statut d’entité agissante au sein d’un système d’informations.

    Le logiciel est une médiation

    Traverser la page pour atteindre les couches inférieures nous amène à faire escale sur la couche logicielle. Le logiciel a un statut intéressant : on le considère souvent comme un médiateur, un agent qui permet la communication et l’interaction humain-machine, pourtant ce n’est pas le cas de toutes les recherches. F. Kittler et sa très célèbre provocation « Es gibt keine Software », traduit par Le logiciel n’existe pas (2015), nous rappelle que ces écritures (qui nous permettent d’écrire), sont stockées et traitées par la machine exactement de la même façon que n’importe quelle écriture numérique.

    On retrouve tous ces textes numériques (logiciels et documents) au même niveau hiérarchique dans l’architecture du système d’exploitation et le traitement qui leur est appliqué par le processeur est identique. La nomination des logiciels en tant qu’« écrits qui permettent les écrits d’écran » par E. Souchier nous mène aussi à cette juxtaposition : finalement le logiciel est de même nature que le texte que nous y rédigeons à l’intérieur.

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    Toutefois, une distinction persiste. Si le texte peut être remédié dans un autre format – et être imprimé par exemple –, le logiciel quant à lui ne peut exister que dans son environnement numérique. Son code source peut lui aussi faire l’objet d’une remédiation (Bolter & Grusin, 1998) mais il sera dénaturé car sa fonction principale est l’organisation du traitement des informations dans un ordinateur. D’ailleurs, C. Herrenschmidt nous rappelle que le terme de logiciel a été forgé à partir de la contraction du mot “logique” avec le mot “matériel” (herrenschmidt_les_2023?) , pour justement montrer à la fois l’opposition du logiciel avec l’aspect matériel (hardware) et marquer leur complémentarité : l’ordinateur (hardware) serait très peu accessible (voir inaccessible) sans logiciel, et le logiciel n’existe pas en dehors de l’ordinateur.

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    Toutefois, une distinction persiste. Si le texte peut être remédié dans un autre format – et être imprimé par exemple –, le logiciel quant à lui ne peut exister que dans son environnement numérique. Son code source peut lui aussi faire l’objet d’une remédiation (Bolter & Grusin, 1998) mais il sera dénaturé car sa fonction principale est l’organisation du traitement des informations dans un ordinateur. D’ailleurs, C. Herrenschmidt nous rappelle que le terme de logiciel a été forgé à partir de la contraction du mot “logique” avec le mot “matériel” (Herrenschmidt, 2023, p. 474) , pour justement montrer à la fois l’opposition du logiciel avec l’aspect matériel (hardware) et marquer leur complémentarité : l’ordinateur (hardware) serait très peu accessible (voir inaccessible) sans logiciel, et le logiciel n’existe pas en dehors de l’ordinateur.

    Lorsque l’on définit le logiciel en opposition au matériel, on les place tous les deux au même niveau – ils sont des entités équivalentes – et cela nous détache de ce que nous avons vu précédemment sur la place du logiciel aux côtés de n’importe quel document à l’intérieur de la mémoire de l’ordinateur.

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    Un courant contemporain de la théorie des médias, l’intermédialité montréalaise11 (Tadier & Méchoulan, 2021; muller_lintermedialite_2000?;   Tadier, 2021), en tant qu’art pour penser les relations (Tadier, 2021), peut être mobilisée pour mieux comprendre les liens entretenues par les agents de notre système, la machine avec elle-même, humain-machine, machine-machine.

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    Ce qui est intéressant dans cette relation – et que certains systèmes d’exploitation cachent depuis plusieurs années – est le fait que logiciel ne puisse exister que dans un environnement très particulier et fragile. Pour fonctionner, le logiciel doit être compatible avec plusieurs composants de l’ordinateur. Les premiers composants sont matériels : est-ce que l’ordinateur a une carte graphique, quel type de processeur ou la quantité de mémoire vive, etc. C’était un fait connu du temps des premiers logiciels comme WordPerfect (bergin_origins_2006?; F. A. Kittler, 2015;   kirschenbaum_track_2016?) et que l’on voit de moins en moins aujourd’hui, notamment parce que 1) les logiciels à installer sont disponibles pour beaucoup de matériels – exceptés pour certains jeux vidéos ou des programmes que l’on va préférer faire fonctionner sur des “machines plus puissantes” comme des réseaux de neurones – et 2) parce que le développement des téléphones intelligents depuis une vingtaine d’années a donné naissance à un nouveau format d’application : les progressive web apps qui utilisent les technologies du web (HTML, CSS, JS) pour fonctionner et sont donc exécutables sur plus de supports puisqu’elles sont agnostiques12 vis-à-vis du système d’exploitation. L’environnement matériel est donc une première condition pour faire fonctionner un logiciel. La deuxième est le système d’exploitation. En fonction du système d’exploitation – et de sa version – un logiciel pourra y être installé à l’intérieur. Ce deuxième paramètre ne doit pas être sous-estimé car l’écosystème des logiciels fonctionne sur la base d’un système réticulaire : les programmes ne sont pas développées from scratch, ils s’appuient sur d’autres briques logicielles qui elles-mêmes s’appuient sur d’autres briques logicielles. Chacune d’entre elles dépend d’une version particulière de l’autre. Si une version venait a être mise à jour sans vérification préalable, alors le château de cartes pourrait s’effondrer et le logiciel ne plus fonctionner.

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    Un courant contemporain de la théorie des médias, l’intermédialité montréalaise11 (Müller, 2000; Tadier & Méchoulan, 2021;   Tadier, 2021), en tant qu’art pour penser les relations (Tadier, 2021), peut être mobilisée pour mieux comprendre les liens entretenues par les agents de notre système, la machine avec elle-même, humain-machine, machine-machine.

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    Ce qui est intéressant dans cette relation – et que certains systèmes d’exploitation cachent depuis plusieurs années – est le fait que logiciel ne puisse exister que dans un environnement très particulier et fragile. Pour fonctionner, le logiciel doit être compatible avec plusieurs composants de l’ordinateur. Les premiers composants sont matériels : est-ce que l’ordinateur a une carte graphique, quel type de processeur ou la quantité de mémoire vive, etc. C’était un fait connu du temps des premiers logiciels comme WordPerfect (Bergin, 2006a;   Kirschenbaum, 2016; F. A. Kittler, 2015) et que l’on voit de moins en moins aujourd’hui, notamment parce que 1) les logiciels à installer sont disponibles pour beaucoup de matériels – exceptés pour certains jeux vidéos ou des programmes que l’on va préférer faire fonctionner sur des “machines plus puissantes” comme des réseaux de neurones – et 2) parce que le développement des téléphones intelligents depuis une vingtaine d’années a donné naissance à un nouveau format d’application : les progressive web apps qui utilisent les technologies du web (HTML, CSS, JS) pour fonctionner et sont donc exécutables sur plus de supports puisqu’elles sont agnostiques12 vis-à-vis du système d’exploitation. L’environnement matériel est donc une première condition pour faire fonctionner un logiciel. La deuxième est le système d’exploitation. En fonction du système d’exploitation – et de sa version – un logiciel pourra y être installé à l’intérieur. Ce deuxième paramètre ne doit pas être sous-estimé car l’écosystème des logiciels fonctionne sur la base d’un système réticulaire : les programmes ne sont pas développées from scratch, ils s’appuient sur d’autres briques logicielles qui elles-mêmes s’appuient sur d’autres briques logicielles. Chacune d’entre elles dépend d’une version particulière de l’autre. Si une version venait a être mise à jour sans vérification préalable, alors le château de cartes pourrait s’effondrer et le logiciel ne plus fonctionner.

    D’ailleurs, une pratique courante en développement informatique consiste à créer un environnement virtuel – une bulle – à l’intérieur même de son ordinateur pour y installer des versions sélectionnées de dépendances logicielles afin qu’elles ne soient pas victime d’un effet de bord dû à une mise à jour d’un autre programme (et d’autre dépendances).

    Le logiciel est un langage de haut niveau qui permet de manipuler des données jusqu’au plus bas niveau de l’ordinateur, au niveau des entrées et des sorties. Toutes ces manipulations sont exécutées en appelant des instructions dans ce réseau de dépendances/logiciels pour que les données puissent descendre les couches et être transformées jusqu’à atteindre leur espace de stockage dans la mémoire morte.

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    Le nom qui désigne un logiciel comme MS Word, Stylo ou LibreOffice désignent plus que les vagues notions que peuvent être leur fonctionnalité principale, dans ces cas-ci l’édition de texte, et peuvent être définis par la totalité des instructions mobilisées dans la manipulation des informations. À l’instar de McLuhan (1977), l’on pourrait percevoir les logiciels comme des espaces construits – des architectures de l’information (broudoux_larchitecture_2013?) soignées – avec une topologie qui leur est propre et à travers laquelle chaque suite d’instructions forme une route que des unités sémiotiques empruntent pour y être transformées en unités calculables.

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    Le nom qui désigne un logiciel comme MS Word, Stylo ou LibreOffice désignent plus que les vagues notions que peuvent être leur fonctionnalité principale, dans ces cas-ci l’édition de texte, et peuvent être définis par la totalité des instructions mobilisées dans la manipulation des informations. À l’instar de McLuhan (1977), l’on pourrait percevoir les logiciels comme des espaces construits – des architectures de l’information (Broudoux et al., 2013) soignées – avec une topologie qui leur est propre et à travers laquelle chaque suite d’instructions forme une route que des unités sémiotiques empruntent pour y être transformées en unités calculables.

    Chaque environnement d’écriture incarne un modèle et une vision du traitement de l’information, que l’on peut englober sous le nom de cet environnement. Lors de l’interaction entre un usager et une machine, par le biais de cet environnement, les médiations à l’oeuvre sont des représentations de ce modèle dont les traces présentes dans les documents sont les indices.

    En prenant le cas de Stylo, nous pouvons détailler ce que nom désigne en fouillant l’architecture logicielle, puisque le code est en libre accès, afin de cibler les traces de cette relation entre l’auteur et son environnement.

    Tout d’abord, Stylo représente un espace sur le Web dans lequel nous pouvons écrire en suivant la syntaxe de trois formats de texte brut, le Markdown, le YAML et le BibTeX. Le Web fonctionne différemment d’un environnement local sur son ordinateur personnel.

    @@ -257,6 +256,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    Autrement dit, chaque fonctionnalité décrit de manière formelle la structuration des informations dans Stylo, donc ce que Stylo écrit dans la base données et dans les textes puisque ce sont les informations renseignées qui seront intégrées dans les documents exportés. En ce sens, Stylo et ses protocoles pré-construisent la totalité de ce qu’un utilisateur peut saisir dans l’interface et sera enregistré dans la base de données. Puisqu’il y a une pré-construction du document et du texte, nous pouvons à ce stade présupposé qu’il y a une pré-construction des traces des interactions avec l’utilisateur et de l’intimité qui en résulte. Cette préconstruction est la vision du document incarnée dans Stylo.

    Une description très générale des moyens de communication à l’oeuvre entre les différents modules de Stylo nous montre déjà que l’information saisie dans cet éditeur de texte est formatée par une architecture de données alors que nous n’avons pas encore abordé les conditions de l’écriture avec les trois formats pivots d’un document dans Stylo.

    Les formats déterminent la sémantique du texte

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    [Trouver quelques références sur les formats, ex la these de de Mourat sur le vacillement des formats]

    Selon les formats d’écriture, et lorsque l’on sort du paradigme WYSIWYG pour celui du WYSIWYM, on s’émancipe de la surcouche de mise en page pour entrer directement dans la couche de la structuration des contenus, là où les formats remplacent la couche supprimée par une autre couche graphique et rendent leur structure visible.

    What You See Is What You Get, ou WYSIWYG, est l’acronyme généralement employé pour désigner les outils qui adoptent une surcouche graphique de gestion de la mise en page des contenus d’un document, au risque de ne pas structurer les informations qu’il contient avec finesse. Le paradigme opposé, What You See Is What You Mean (WYSIWYM), distingue la mise en page graphique des éléments du texte de leur structuration. Les formats employés sont généralement du texte brut et permettent dans la plupart des cas de baliser le contenu pour définir la nature des éléments à décrire. C’est le cas, par exemple, de tous les langages de balisages hérités de SGML (Standard Generalized Markup Language) tels que HTML ou XML mais également les langages de balisage léger comme Markdown, AsciiDoc, reStructuredText, etc.

    À ce stade, l’agent humain ne dépend pas d’un logiciel particulier pour saisir son texte puisque la saisie d’un texte dans un format plain text peut l’être dans n’importe quel environnement. Écrire en texte brut signifie également ouvrir les possibilités de structuration du texte : ce n’est plus un logiciel de traitement de texte, MSWord, GoogleDoc ou LibreOffice qui décide de l’organisation des connaissances à l’intérieur du document, suivant un phénomène de documentarisation (Zacklad, 2019), mais le choix d’un format ou d’une saveur particulière d’un format : le positionnement de l’autorité est alors déplacé vers un niveau plus bas.

    @@ -314,21 +314,19 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    Le changement de version génère une modification de comportement des valeurs y, yes, on qui signifiaient le booléen true dans la version 1.1 et ne sont plus que des chaînes de caractères à partir de la version 1.2. Or, tous les parseurs de YAML n’ont pas fait cette mise à jour. Par exemple, la très répandue librairie Python PyYaml, dont la dernière mise à jour remonte à juillet 202334, s’appuie toujours sur la version 1.1 de YAML. En somme, si un document doit passer d’un environnement utilisant la version 1.1 ou la version 1.2, les informations structurées ne seront pas traitées de la même manière.

    Nous sommes en droit de nous demander pourquoi YAML reste aussi populaire ? Ruud van Asseldonk apporte plusieurs réponses à cette question. La première est que YAML fait partie des plus anciens langages de sérialisation de données et répondait alors à un besoin de toute une génération de développeurs, ensuite il permet l’écriture de commentaires à l’intérieur des documents, c’est-à-dire du texte qui ne sera pas traité par le parseur, alors que JSON ne le permet pas. Des alternatives comme le langage TOML35 ont vu le jour dans les années 2010 (2013 pour le TOML) pour tenter de pallier les problèmes sus-mentionnés. Le langage TOML est par exemple utilisée pour le fichier de configuration du paquet Python “Pressoir-CLI” afin de déclarer différents paramètres, par exemple de mise en page, parsés par le Pressoir et utilisés pour générer des livres au format HTML. Cet outil fera l’objet d’une analyse détaillée dans le prochain chapitre36.

    Enfin, le dernier format pivot utilisé dans Stylo, le BibTeX, est utilisé pour structurer les références bibliographiques. BiBTeX est un format standard permettant de décrire des listes de références bibliographiques inventé par Oren Patashnik en 1985 pour l’écosystème LaTeX. Au-delà de LaTeX, c’est un format largement utilisé par les gestionnaire de références bibliographiques comme Zotero37 ou eBib38.

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    Le choix d’intégrer BibTeX à Stylo provient de la possibilité d’utiliser l’API de Zotero dans l’éditeur de Stylo pour récupérer les informations des références bibliographiques. Ce fonctionnement entre Zotero et Stylo permet aux utilisateurs de ne passer que rarement par la forme brute du BibTeX, puis il permet de décentraliser la gestion et le nettoyage des informations de chaque références dans Zotero et limite les phases de nettoyage des informations à ce seul espace. Stylo est plutôt prévu pour récupérer des listes de références bibliographiques et procurer des fonctionnalités pour les intégrer dans un texte. L’utilisation du format BibTeX permet d’automatiser la saisie et la transformation des références bibliographiques selon les styles requis pour un document. Pourtant, ce choix pourrait être tout à fait discutable du fait des limites de Zotero et de BibTeX. Lors de la création d’un nouvel objet dans Zotero, le premier élément à saisir est le type d’objet à référencer. Le nombre de types est limité à 17. Cela couvre une bonne partie des besoins académiques mais pas les exceptions qui vont toutes rentrer dans le dernier type @misc pour « tout autre type de document ». Il en va de même pour les informations rattachées à chaque type de données39 : selon les disciplines ou les pour certains documents très particuliers, les champs de Zotero peuvent être trop restrictifs alors qu’il serait nécessaire de pouvoir saisir de nouvelles entrées pour enrichir les données bibliographiques tout en préservant leur structuration. Actuellement, la seule possibilité serait d’utiliser le champ Extra pour ajouter une information supplémentaire sous la forme de chaîne de caractères sans avoir de structure explicite.

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    Le choix d’intégrer BibTeX à Stylo provient de la possibilité d’utiliser l’API de Zotero dans l’éditeur de Stylo pour récupérer les informations des références bibliographiques. Ce fonctionnement entre Zotero et Stylo permet aux utilisateurs de ne passer que rarement par la forme brute du BibTeX, puis il permet de décentraliser la gestion et le nettoyage des informations de chaque références dans Zotero et limite les phases de nettoyage des informations à ce seul espace. Stylo est plutôt prévu pour récupérer des listes de références bibliographiques et procurer des fonctionnalités pour les intégrer dans un texte. L’utilisation du format BibTeX permet d’automatiser la saisie et la transformation des références bibliographiques selon les styles requis pour un document. Pourtant, ce choix pourrait être tout à fait discutable du fait des limites de Zotero et de BibTeX. Lors de la création d’un nouvel objet dans Zotero, le premier élément à saisir est le type d’objet à référencer. Le nombre de types est limité à 17. Cela couvre une bonne partie des besoins académiques mais pas les exceptions qui vont toutes rentrer dans le dernier type @misc pour « tout autre type de document ». Il en va de même pour les informations rattachées à chaque type de données39 : selon les disciplines ou pour certains documents très particuliers, les champs de Zotero peuvent être trop restrictifs alors qu’il serait nécessaire de pouvoir saisir de nouvelles entrées pour enrichir les données bibliographiques tout en préservant leur structuration. Actuellement, la seule possibilité serait d’utiliser le champ Extra pour ajouter une information supplémentaire sous la forme de chaîne de caractères sans avoir de structure explicite.

    D’autres problèmes peuvent surgir entre la représentation d’une référence bibliographique dans Zotero et dans Stylo/Pandoc. Lors de l’édition d’articles en anglais et en français, nous nous sommes aperçus d’une différence de comportement importante entre ce que prévoit le format BibTeX, son interprétation dans Zotero et celle que l’on en fait dans Stylo.. Avec BibTeX il existe plusieurs paramètres de langues : langid et language. langid permet initialement d’identifier la langue à appliquer à l’entrée (comme traitement) et language sert à déclarer la langue employée dans le document. Stylo et Pandoc prennent les deux paramètres en charge, alors que dans Zotero il n’est possible de renseigner que language et pas langid, language combinant les deux objets. En récupérant les références bibliographiques depuis Zotero, Stylo récupère seulement le paramètre language puisque le paramètre langid n’existe pas dans Zotero. Lors du traitement des informations avec Pandoc, il n’est pas possible de déclarer le traitement à appliquer à la référence bibliographique. Par défaut, Stylo va appliquer la langue du contenu du texte dans Stylo à toutes les références bibliographiques. Dans un texte comme celui-ci, le paramètre par défaut est réglé sur le français. Les références en anglais seront alors transformées selon les règles orthotypographiques françaises et pas selon les normes anglaises. Pour une structure éditoriale telle qu’une revue, ce paramètre n’est pas opérationnel. De ceci découle une discussion entre les membres de l’équipe de développement de Stylo40 sur la conduite à tenir pour informer les usagers de ce problème et trouver une solution pour le contourner. À ce jour, nous avons décidé de renseigner le problème dans la documentation de Stylo41 pour avertir les utilisateurs. Une modification du format ou du fonctionnement du gestionnaire de références bibliographiques serait beaucoup trop lourde en termes d’effets de bord dans Stylo, c’est pour cela qu’à ce stade nous en sommes restés à cette solution.

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    [Faire une mini conclusion sur ce qu’apporte ces trois formats]

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    Le choix des formats dans lesquels les utilisateurs peuvent saisir leurs textes et leurs données n’est pas anodin. Qu’il soit ancien, récent, verbeux ou léger, permissif ou rigide, le format d’écriture conditionne ce que l’on a le droit d’écrire ou non. En ce sens la décision de ce qui peut être saisi est déjà prise avant qu’un texte soit frappé sur le clavier. Par exemple, dans Stylo, le Markdown ne permet pas à un philologue de saisir explicitement un appareil critique. C’est une syntaxe qui n’existe pas alors que c’est le cas pour d’autre environnements comme LaTeX et le paquet ekdosis développé et maintenu par Robert Alessi. Dans ce cas-ci, puisque l’appareil critique n’existe pas en Markdown, il ne peut pas exister dans Stylo sauf si l’utilisateur fait abstraction du format et qu’il change de paradigme pour celui de la page et de la représentation graphique. En faisant cela, l’utilisateur fait également abstraction de la machine et de ce qu’elle peut interpréter du contenu puis écrire dans le texte. Lorsque nous sommes dans un environnement mis à disposition comme Stylo, le risque est que celui-ci ne soit pas complètement adapté à des besoins ou à une intention. Il risque d’y avoir une friction entre les formats imposés par l’environnement et les besoins en écriture.

    Co-écriture entre les agents

    En régissant les procédés de saisi du textes, un rapport de force semble s’instaurer entre les instances éditrices des architextes (que ce soit des collectifs, des institutions ou des entreprises) et les usagers. Dans le cas d’un logiciel de traitement de texte lorsque, par exemple, Microsoft propose une modification de la police utilisée par défaut dans une version actualisée du logiciel MSWord, Microsoft change également les manières d’écrire de tous les individus à travers le monde qui utilisent ce logiciel (et qui ont installé la mise à jour).

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    Si l’on s’arrête à la vision superficielle du texte, comme le propose J. Goody avec la raison graphique, on ne voit que les modifications d’affichage des éléments graphiques mais nous oublions ceux qui sont invisibles et cachés derrière la page.

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    Certes, les interfaces d’écriture sont présentés sous la forme de gabarits que l’on doit remplir, comme on peut le faire avec des logiciels de création de diapositives dont chacune est découpée en sections contenant tour à tour des images, des titres ou du texte. Dans cet exemple-ci nous avons affaire à une construction visuelle du document : un emplacement pour le titre de la diapositive, un autre pour le texte, un autre pour une image ou pour un graphique, etc. À ce sujet, E. Tufte (tufte_cognitive_2003?) a publié un article sur l’utilisation du logiciel PowerPoint et démontre à travers plusieurs cas d’étude les effets du logiciel sur la forme des présentations et des informations qu’elles contiennent. La thèse qu’il y défend est que ce logiciel, en 2003, « […] perturbe, domine et banalise systématiquement le contenu. » 42 notamment parce qu’il « facilite activement la réalisation de présentation légère »43. À travers son analyse des usages de PowerPoint, E. Tufte nous montre qu’il ne s’agit pas d’un manque de fonctionnalité pour enrichir des supports de présentation, que l’auteur qualifie de pauvres, mais que le logiciel lui-même induit ce type de présentation avec des templates préfabriqués, des réalisations de graphiques automatisées ou d’autres fonctionnalités similaires qui appauvrissent les présentations parce que leur fonctionnement est calqué sur un modèle de présentation marketing qui n’est pas adapté aux sciences. Il ne s’agit plus seulement de remplir des gabarits préfabriqués mais également de penser les formes que peuvent prendre l’information, ce que Tufte nomme « The Cognitive Style of PowerPoint », qui n’est pas sans rappeler la raison computationnelle de Bruno Bachimont (bachimont_intelligence_2000?).

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    Si l’on s’arrête à la vision superficielle du texte, comme le propose J. Goody avec la raison graphique (Goody, 1979), on ne voit que les modifications d’affichage des éléments graphiques mais nous oublions ceux qui sont invisibles et cachés derrière la page.

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    Certes, les interfaces d’écriture sont présentés sous la forme de gabarits que l’on doit remplir, comme on peut le faire avec des logiciels de création de diapositives dont chacune est découpée en sections contenant tour à tour des images, des titres ou du texte. Dans cet exemple-ci nous avons affaire à une construction visuelle du document : un emplacement pour le titre de la diapositive, un autre pour le texte, un autre pour une image ou pour un graphique, etc. À ce sujet, E. Tufte (2003) a publié un article sur l’utilisation du logiciel PowerPoint et démontre à travers plusieurs cas d’étude les effets du logiciel sur la forme des présentations et des informations qu’elles contiennent. La thèse qu’il y défend est que ce logiciel, en 2003, « […] perturbe, domine et banalise systématiquement le contenu. » 42 notamment parce qu’il « facilite activement la réalisation de présentation légère »43. À travers son analyse des usages de PowerPoint, E. Tufte nous montre qu’il ne s’agit pas d’un manque de fonctionnalité pour enrichir des supports de présentation, que l’auteur qualifie de pauvres, mais que le logiciel lui-même induit ce type de présentation avec des templates préfabriqués, des réalisations de graphiques automatisées ou d’autres fonctionnalités similaires qui appauvrissent les présentations parce que leur fonctionnement est calqué sur un modèle de présentation marketing qui n’est pas adapté aux sciences. Il ne s’agit plus seulement de remplir des gabarits préfabriqués mais également de penser les formes que peuvent prendre l’information, ce que Tufte nomme « The Cognitive Style of PowerPoint », qui n’est pas sans rappeler la raison computationnelle de Bruno Bachimont (2000).

    En changeant de paradigme, de la raison graphique pour celui de la raison computationnelle, l’assujetissement à ces architextes dépasse cette surcouche graphique et concerne également toutes les sous-couches (in)visibles de structuration textuelle du texte, mais aussi tout le processus d’inscription du document dans la mémoire, ainsi que les protocoles et méthodes qui permettent d’accéder à ces données. Comme nous l’avons vu précédemment, ce n’est pas l’image du texte affichée à l’écran qui est sauvegardée mais bien une suite de caractères binaires dont l’écriture intermédiaire est une suite de symboles, de chiffres et de lettres.

    Pourtant, on constate un paradoxe entre le nom d’un logiciel comme Pages, un traitement de texte disponible sous MacOS convoquant la métaphore de la page comme imaginaire en y enfermant les utilisateurs, et le rôle de guide qu’il doit remplir dans le traitement des informations. Dans ce cas-ci, le nom du logiciel ne réfère ni à son fonctionnement ni à son utilité. Alors que dans les années 1980, lors de la génèse des traitements de texte, les lettres WP signifiaient WordPerfect44, et que la plupart des autres concurrents employaient également le mot word dans le nom de leur logiciel, car c’est bien le mot et son traitement informatique qui était au centre des développements, la démarche d’Apple en 2005 nous montre un changement de perspective : on passe du mot à la page. L’attention est porté à un autre endroit, sur une page que génère Pages et qui n’existe pas dans d’autres environnements. Depuis vingt ans que cet outil est nativement disponible sur les ordinateurs de chez Apple, la compatibilité avec d’autres formats et/ou logiciels à fortement augmentée, en témoigne les arguments de communication mis en avant sur la page web du logiciel45 mais compatible ne veut pas dire identique. En plus de n’être accessible que sous MacOS, cette page ne l’est également que sous Pages : cette formulation courante laisse entendre que l’utilisateur devient alors sujet de son environnement d’écriture, nous dit F. Kittler (2015).

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    Cette position kittlerienne, que l’on peut qualifier d’essentialiste, pose les fondations des travaux de K. Hayles (hayles_my_2005?), du posthumanisme, et du nouveau matérialisme, courants dans lesquels s’inscrivent en outre les travaux de K. Barad (barad_meeting_2007?; barad_frankenstein_2023?) et ceux de M. Vitali-Rosati (2021). Pourtant, leur approche du rapport entre humain et machine est radicalement différente de celle de F. Kittler. Alors que F. Kittler identifie la machine et l’utilisateur par une série de propriétés ou définitions avant leur interaction, quasiment de manière décisive, les posthumanistes choisissent de ne pas déterminer les agents préalablement à l’environnement mais comme résultats de l’agencement de plusieurs dynamiques dans un espace donné. C’est en ce sens que sont mobilisées et développées les notions de worldview ches K. Hayles, où Mère Nature devient une Matrice (My Mother was a Computer), l’intra-action à la place d’interaction puisque les agents ne sont pas prédéterminés chez K. Barad et enfin l’éditorialisation chez M. Vitali-Rosati qui propose une ontologie de la médiation (métaontologie) selon laquelle le media n’existe pas, on y retrouve la provocation de Kittler, et que toutes ces dynamiques, ces intra-actions, sont des médiations dont la matérialité, dans un agencement donné, produit du sens (Vitali-Rosati & Larrue, 2019).

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    Cette position kittlerienne, que l’on peut qualifier d’essentialiste, pose les fondations des travaux de K. Hayles (Hayles, 2005), du posthumanisme, et du nouveau matérialisme, courants dans lesquels s’inscrivent en outre les travaux de K. Barad (2007, 2023) et ceux de M. Vitali-Rosati (2021). Pourtant, leur approche du rapport entre humain et machine est radicalement différente de celle de F. Kittler. Alors que F. Kittler identifie la machine et l’utilisateur par une série de propriétés ou définitions avant leur interaction, quasiment de manière décisive, les posthumanistes choisissent de ne pas déterminer les agents préalablement à l’environnement mais comme résultats de l’agencement de plusieurs dynamiques dans un espace donné. C’est en ce sens que sont mobilisées et développées les notions de worldview ches K. Hayles, où Mère Nature devient une Matrice (My Mother was a Computer), l’intra-action à la place d’interaction puisque les agents ne sont pas prédéterminés chez K. Barad et enfin l’éditorialisation chez M. Vitali-Rosati qui propose une ontologie de la médiation (métaontologie) selon laquelle le media n’existe pas, on y retrouve la provocation de Kittler, et que toutes ces dynamiques, ces intra-actions, sont des médiations dont la matérialité, dans un agencement donné, produit du sens (Vitali-Rosati & Larrue, 2019).

    Ainsi, l’assujetissement de l’humain aux logiciels que nous avons mentionné, que F. Kittler critique vivement dans ses travaux, n’a plus de raison d’être dans cette perspective non-essentialiste offerte par l’éditorialisation puisque ces entités sont uniquement déterminées lorsqu’il y a intra-action. Les relations entre les agents ne peuvent plus être présupposées et leur détermination est réalisée depuis un référentiel quasiment unique si l’on considère que les paramètres de cet environnement sont variables et que la probabilité d’obtention de conditions strictement identiques est quasi nulle. Depuis cette perspective où l’on considère les différents agents comme des productions de leur agencement dans un écosystème, il devient intéressant d’observer leur relation tout au long de ce processus pour comprendre comment ils s’affectent les uns les autres.

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    [Faire une transition vers les différents du texte, peut-être en mentionnant que finalement il y a une partie de l’écriture qui est aveugle.]

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    [Reprendre le début de cette partie, revenir sur l’architecture logicielle et montrer qu’il y a un manque dans ce que nous avons décrit précédemment en terme d’interaction et que c’est le navigateur qui gère ça]

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    La description préliminaire des différents composants nous amène aux mécanismes de l’écriture dans Stylo.

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    Jusqu’à présent, nous savons que le texte est saisi par l’utilisateur en Markdown (YAML et BibTeX également), puis est envoyé sur le serveur au moyen d’une requête GraphQL au format JSON contenue dans une requête HTTP utilisant la méthode POST comme modalité de circulation de l’information. Entre ces étapes persiste une phase qui n’a pas encore été évoquée : la requête POST envoyée au serveur ne s’effectue pas en continu entre le client et le serveur, ce n’est pas un flux et l’on n’écrit pas directement dans la base de données. Une phase latente se glisse dans l’interface Web entre le moment où l’utilisateur frappe les touches de son clavier et le moment où la base de données est mise à jour. Cette phase est rendue visible par l’affichage du message au-dessus de l’éditeur de texte. Lorsque aucune touche du clavier n’est enfoncée pendant un certain laps de temps (quelques secondes), le message “Last saved…” est remplacé par “saving” : la copie de travail vient d’être enregistrée dans la base MongoDB grâce à la requête GraphQL updateWorkingCopy(). Dans ce laps de temps entre la frappe des mots au clavier et l’envoi de la requête au serveur, qu’advient-il du texte ?

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    Néanmoins, un trouble persiste dans cette relation entre ces agents. Il se manifeste entre ce que l’usager à l’intention d’écrire et le document que produit la machine, qui est structuré selon un certains nombre de normes, formats, etc., implémentés dans un logiciel. Ce trouble nait de la rencontre entre une représentation du texte structurée graphiquement et une représentation du texte structurée par du texte, comme c’est le cas pour une page web interprétée par un navigateur et son pendant au format HTML. En ce sens, nous examinons la possibilité que l’écriture numérique puisse être affublée d’une caractéristique supplémentaire : la cécité. Cette caractéristique nous semble présente dans le fait qu’il y ait plusieurs angles morts entre ces deux conceptions du texte qui ne permettent ni à l’utilisateur ni à la machine de voir le texte dans sa totalité. La piste de ce trouble nous mène également à comprendre l’enjeu de cette relation entre l’usager et son environnement puisque. En le dévoilant, nous mettrons à jour les indices de la rencontre entre un auteur et son environnement d’écriture.

    +

    Dans Stylo, nous savons que le texte est saisi par l’utilisateur en Markdown (YAML et BibTeX également), puis est envoyé sur le serveur au moyen d’une requête GraphQL au format JSON contenue dans une requête HTTP utilisant la méthode POST comme modalité de circulation de l’information. Entre ces étapes persiste une phase qui n’a pas encore été évoquée : la requête POST envoyée au serveur ne s’effectue pas en continu entre le client et le serveur, ce n’est pas un flux et l’on n’écrit pas directement dans la base de données. Une phase latente se glisse dans l’interface Web entre le moment où l’utilisateur frappe les touches de son clavier et le moment où la base de données est mise à jour. Cette phase est rendue visible par l’affichage du message au-dessus de l’éditeur de texte. Lorsque aucune touche du clavier n’est enfoncée pendant un certain laps de temps (quelques secondes), le message “Last saved…” est remplacé par “saving” : la copie de travail vient d’être enregistrée dans la base MongoDB grâce à la requête GraphQL updateWorkingCopy(). Dans ce laps de temps entre la frappe des mots au clavier et l’envoi de la requête au serveur, qu’advient-il du texte ?

    Comme cela est mentionné précédemment, l’espace d’écriture de Stylo est un espace web. Pour y accéder, nous avons besoin d’un logiciel particulier – un navigateur ou un fureteur – capable d’interpréter du HTML, du CSS et d’exécuter du Javascript. Lorsque l’on écrit dans Stylo – et de surcroit dans Monaco –, le texte saisi doit être manipulable et interprétable par le navigateur pour pouvoir être envoyé sur le serveur. C’est le rôle de Monaco de traiter cette couche d’informations. À l’écran, l’utilisateur voit s’afficher du Markdown tel qu’il le frappe, pourtant cette information n’est inscrite sur aucun support en dehors du rendu visuel affiché à l’écran. Monaco travaille avec des modèles et ce sont avec eux que l’utilisateur interagit. Chaque modèle est rattaché à une URI (que l’on peut identifier avec l’identifiant des articles) et c’est de cette manière que Monaco peut manipuler le DOM (Document Object Model) du navigateur pour créer le texte et son rendu graphique dans un format de texte brut.

    Le DOM est une représentation abstraite d’un document HTML exécutée dans le navigateur. Tous les éléments structurés à l’intérieur de ce document deviennent des objets, des noeuds manipulables avec du Javascript. C’est grâce à ce procédé qu’une page web est rendue dynamique. Puisque la construction du DOM dépend du navigateur employé, nous pouvons en déduire que ce document sera différent selon le navigateur ou les différentes versions d’un même logiciel. Pour accéder à ce DOM il suffit d’ouvrir les outils de développements du navigateur et d’inspecter le contenu de la page HTML.

    Ci-dessous, une première image pour montrer le texte saisi à l’écran et une deuxième pour montrer ce qui est inscrit dans le DOM.

    @@ -352,9 +350,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    Chacun de ces états a une signification particulière. Le premier état est la projection d’une structure de l’information, tandis que le deuxième en permet l’interprétation et l’affichage par le navigateur, la troisième est une représentation formatée pour circuler entre un client et un serveur et enfin, la quatrième, est à l’état de stockage, prête à être appelée pour réaliser le chemin en sens inverse.

    Ces différents états du texte sont plus que de simples représentations. Ce sont des documents différents et chacun à une signification et un usage qui lui est propre. Par exemple, la forme en Markdown brut ne peut pas circuler en l’état avec le protocole HTTP, il lui manque toute une série d’informations et une transformation vers un autre format (le JSON) pour employer ce canal de communication : ce dont s’occupe Stylo.

    Parmi ces quatre documents produits pour écrire, un seul l’est par l’utilisateur tandis que les autres formes sont écrites par Stylo.

    -

    [faire un mini conclusion sur la cécité de l’écriture num.]

    -

    La déprise en main du texte

    -

    Écrire dans un environnement numérique dépasse l’encodage de signes dans un seul format d’écriture. Comme nous l’avons vu avec Stylo, ce sont différents protocoles qui sont mobilisés pour produire une suite de documents intermédiaires et, par ce cheminement, imprègnent l’écriture d’une matérialité. Lorsque Stylo promeut une reprise en main du texte par les utilisateurs, il ne faut pas comprendre un environnement moins complexe en termes d’interactions des différentes composantes dans cet écosystème, il faut y voir une chaîne de traitement transparente, libre et ouverte sur les transformations opérées dans le texte. Pourtant, plutôt qu’une reprise en main, nous lui préférons la notion de déprise sur le texte, au sens que lui donnait Louise Merzeau (sauret_revue_2020?)46.

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    Écrire dans un environnement numérique dépasse l’encodage de signes dans un seul format d’écriture. Comme nous l’avons vu avec Stylo, ce sont différents protocoles qui sont mobilisés pour produire une suite de documents intermédiaires et, par ce cheminement, imprègnent l’écriture d’une matérialité. Lorsque Stylo promeut une reprise en main du texte par les utilisateurs, il ne faut pas comprendre un environnement moins complexe en termes d’interactions des différentes composantes dans cet écosystème, il faut y voir une chaîne de traitement transparente, libre et ouverte sur les transformations opérées dans le texte. Pourtant, plutôt qu’une reprise en main, nous lui préférons la notion de déprise sur le texte, au sens que lui donnait Louise Merzeau (Sauret, 2020)46.

    Cette formule est empruntée à Louise Merzeau qui l’employait pour parler des […] utilisateurs des grandes plateformes du Web [et de] la perte de contrôle de leurs usages, restreints et conditionnés par les algorithmes et par des interfaces de plus en plus normalisées.

    @@ -365,27 +361,109 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n

    Toutes ces dynamiques éditorialisent et constituent les premiers documents de l’intimité du chercheur. Autrement dit, écrire dans l’environnement Stylo produit quelque chose qui ne serait pas identique dans un autre environnement car les dynamiques observées seraient affectées par d’autres facteurs et produiraient ainsi une autre chose. Le choix de l’environnement d’écriture constitue en conséquence un choix politique puisque cet environnement agit et produit une matérialité singulière.

    Conclusion

    À la question de la place de l’ordinateur dans le processus de saisi d’un texte numérique, nous avons émis l’hypothèse que ce dernier dépasse son statut utilitariste pour celui de dynamique constitutive du sens de ce texte. En nous appuyant d’abord sur le fonctionnement d’un ordinateur et sur les caractéristiques de l’écriture numérique, tant la partie matérielle que la partie logicielle, puis sur la notion d’éditorialisation, telle qu’elle s’inscrit dans le nouveau matérialisme et le posthumanisme, nous avons observé les intra-actions à l’oeuvre dans l’éditeur de texte Stylo. Pour réaliser cette étude, nous nous sommes appuyés sur une méthode empruntée au théoricien des médias Friedrich Kittler dont l’analyse repose sur la description technique du fonctionnement des éléments mobilisés.

    +

    [Remplacer le paragraphe ci-dessous en revenant sur les traces de l’intime qu’on a rencontré]

    En appliquant cette méthode à divers cas de saisi de fragments de texte selon les formats pivots utilisés dans Stylo, le Markdown, le YAML et le BibTeX, nous nous sommes aperçus que ces fragments ne sont jamais inscrit directement selon les formats mentionnés mais qu’ils passent par quatre états différents : la saisie à l’écran, la manipulation par le DOM du navigateur dans l’éditeur Monaco, la requête GraphQL formatée en JSON pour être transporté par la méthode POST du protocole HTTP et le stockage dans la base de données MongoDB. Le texte est ainsi transformé en différents états pour qu’il puisse circuler dans Stylo entre l’espace où il est saisi, que l’on peut retrouver à une adresse unique (l’URL de l’article), et l’espace où il sera stocké dans le serveur de la TGIR Huma-num qui héberge l’application. De nouvelles informations sont alors inscrites dans le texte lors de ces métamorphoses : la structure du document varie à chaque étape. Ainsi, les signes qui constituent le document changent et en modifie profondément le sens. Parmi les quatre états mentionnés, seulement le premier est saisi par l’utilisateur et les autres sont écrits par Stylo. Néanmoins écrire avec Stylo ne nécessite pas de connaître ces différentes phases. Il y aurait donc une relation entre un auteur et Stylo qui prendrait naissance dans une forme de déprise où l’utilisateur accorde sa confiance dans les manipulations du texte que l’application réalise. En se référant à l’éditorialisation, nous pouvons affirmer que chacune de ces quatre phases contribue à la matérialité du texte saisi et qu’en ce sens il y a co-écriture entre l’utilisateur et Stylo.

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    @@ -414,7 +507,7 @@ Zacklad, M. (2019). Le design de l’information : textualisation, documen
  • À chaque fois que nous ferons référence à l’écriture, il faudra la comprendre comme l’écriture scientifique en environnement numérique sauf mention différente.↩︎

  • C’est par exemple le cas de la machine à écrire Valentine conçue en 1968 par le célèbre designer Ettore Sottsass, machine qui est devenue le produit emblématique de l’entreprise Olivetti lors de sa commercialisation en 1969. Comme nous le verrons plus loin, lors des mêmes années aux États-Unis, le président Johnson déclara qu’à l’échelle fédérale les ordinateurs doivent être compatibles avec la norme ASCII.↩︎

  • Cette machine a été conçue par Mario Bellini pour Olivetti en 1987, voir https://www.moma.org/collection/works/3641 site consulté le 21 février 2024.↩︎

  • -
  • Un autre logiciel comme TeX développé en 1984 par Donald Knuth tente de résoudre ce problème de la mise en page selon une approche WYSIWYM, que D. Knuth nomme Literate programming (knuth_literate_1984?) alors que la tendance est plutôt aux interfaces WYSIWYG↩︎

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  • Un autre logiciel comme TeX développé en 1984 par Donald Knuth tente de résoudre ce problème de la mise en page selon une approche WYSIWYM, que D. Knuth nomme Literate programming (Knuth, 1984) alors que la tendance est plutôt aux interfaces WYSIWYG↩︎

  • La première loi de Moore est relative à l’évolution des processeurs dans le temps et stipule que le nombre de transistors présents dans les processeurs doublera tous les dix-huit mois pour un coût constant.↩︎

  • Voir la page web correspondante sur le site de l’entreprise Intel, consulté le 16 février 2024 : https://www.intel.fr/content/www/fr/fr/history/museum-story-of-intel-4004.html.↩︎

  • Système élémentaire d’entrée sortie↩︎

  • -- cgit v1.2.3