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JC) jusqu'à la fin de la période hellénistique (31 av. JC.). +Durant cette période, la philosophie n'était pas seulement un exercice de pensée +pour répondre aux questions sur l'existence de l'être et son rapport au monde, +mais était un mode de vie qui se pratiquait au quotidien. +Elle était pratiquée par celles et ceux qui aimait et désirait la Sagesse. +L'objectif n'était pas d'atteindre cette sagesse, car elle est l'apanage des +dieux, mais d'en frayer la voie pour s'en rapprocher. +Les philosophes de l'antiquité, à la différence de leurs contemporains +spécialistes du savoir, les sophistes, modifiaient ainsi leur façon de vivre et +l'accordaient à un système de valeurs vertueuses aligné sur les préceptes de +l'école ou du courant philosophique auquel ils étaient rattachés. +La philosophie pratiquée par les anciens était plus qu'un mode de pensée, elle +était une « manière d'être » [@hadot_exercices_2002, p.77]. +Afin de parcourir ce chemin vertueux, les différentes écoles et courants ont mis +au point des séries d'exercices spirituels que le philosophe pratiquait au +quotidien. + +L'étymologie de ces exercices est strictement identique à celle de l'ascèse +chrétienne : _askesis_. +Les deux termes ont une origine commune mais une signification bien différente. +À ce propos, P. Hadot nous met en garde quant à la confusion possible entre ces +deux *askesis*. +L'*askesis* chrétienne se rapproche de la définition contemporaine du terme, +c'est-à-dire de l'abstinence ou de la restriction de nourriture, de boisson, de +relation sexuelle, etc. ; alors que l'*askesis* grecque ne renvoie qu'aux +exercices spirituels que nous avons mentionnés, qualifiés comme étant « une +activité intérieure de la pensée et de la volonté » [@hadot_exercices_2002, +p.78]. +La philosophie antique, à travers l'*askesis*, agit comme une « thérapeutique +des passions » [@hadot_exercices_2002, p.22]. +Une pratique assidue permet de se dépouiller de ces dernières et d'opérer une +objectivation du monde débarassée des perceptions subjectives et des affects. +« L'intériorisation [réalisée à travers cette vie ascétique] est dépassement de +soi et universalisation » [@hadot_exercices_2002, p.330], notamment chez les +épicuriens et les stoïciens. +En somme, lorsque le philosophe entreprend son parcours, il en vient à se +détacher de sa condition humaine et, par un mouvement d'extériorisation, +développe une « nouvelle manière d'être-au-monde [...] qui consiste a prendre +conscience de soi comme partie de la Nature » [@hadot_exercices_2002, p.330]. + +P. Hadot propose également une liste de ces exercices parmi lesquels on y +trouve : la recherche (_zetesis_), l'examen approfondi (_skepsis_), la lecture, +l'audition (_akroasis_), l'attention (_prosochè_), la maîtrise de soi +(_enkrateia_), l'indifférence aux choses indifférentes, les méditations +(_meletai_), les thérapies des passions, le souvenir de ce qui est bien, +l'accomplissement des devoirs [@hadot_exercices_2002, p.26]. +L'auteur accorde une valeur particulière à l'examen de conscience que suppose +l'attention à soi (_prosochè_). +Il s'agit d'un exercice à réaliser quotidiennement, voire même plusieurs fois +par journée. +Le philosophe prend du recul sur ses actes passés, soit une distance critique +vis-à-vis de sa manière d'être qu'il confronte au système de valeurs auquel il +prétend appartenir. +Une des méthodes pour réaliser cet exercice est l'écriture de soi. +Le philosophe couche sur le papier les actions effectuées durant une période +précise, il s'y raconte. +C'est ce que fait Marc-Aurèle dans les _Pensées pour moi-même_ +[@hadot_exercices_2002, p.149]. + +[ajouter quelques paragraphes sur Marc-Aurèle] + +En faisant un anachronisme, cette pratique de l'écriture de soi pourrait +aisément être confondue avec une écriture diaristique ou se rapprocher du récit +autobiographique. +Ce qui est également le cas avec _Les Confessions_ de Rousseau ou les +_Méditations_ de Descartes. +Elles peuvent effectivement être lues comme un récit autobiographique ou alors +comme la réalisation d'une _askesis_ où l'auteur utilise l'écriture pour exercer +une tension entre un récit de lui-même et des réflexions philosophiques. +Le succès de cette méthode qu'est l'écriture perdure pendant plusieurs siècles +comme en témoigne les écrits d'Athanase d'Alexandrie dans la _Vie d'Antoine_ +vers l'an 360 (soit environ 40 ans avant les _Confessions_ d'Augustin). +P. Hadot en cite le passage suivant [@hadot_exercices_2002, p.90] : + +> Que chacun note par écrit, conseille Antoine, les actions et les mouvements de +> son âme, comme s'il devait les faire connaître aux autres. En effet, +> poursuit-il, nous n'oserions certainement pas commettre des fautes en public, +> devant les autres. Que l'écriture tienne donc la place de l'oeil d'autrui. + +Ainsi, l'examen de conscience, dont la finalité est la maîtrise de soi, peut +être réalisé par une série d'étapes dont la première est l'introspection qui est +accomplie grâce à une mise en récit de soi via un medium, l'écriture, et génère +alors une deuxième étape, celle de l'extériorisation de soi. +L'écriture dépasse la simple condition de support / outils grâce auquel une +information peut être transmise et devient la condition _sine qua non_ de +l'accès à l'autre. + +À titre d'exemple, si nous reprenons le passage cité précédemment de la lettre +de Sénèque à Lucilius, Sénèque écrit ceci : « Sans doute l'homme devrait +toujours se conduire comme s'il avait des témoins, toujours penser comme si +quelqu'un pouvait lire au fond de son coeur ». +Exception faite pour l'écriture, la méthode que propose Sénèque est très +similaire à celle de Saint-Antoine, et elle s'incarne à travers la lettre qui +est employée comme medium. +La relecture de la lettre de Sénèque sous le prisme de l'exercice spirituel +modifie l'interprétation que l'on peut en faire. +De plus, Sénèque nous indique dès le début de la lettre qu'il s'agit de +l'exercice de l'examen de soi : « Je vais donc me mettre à m'observer, et, pour +plus de sûreté, je ferai le soir la revue de ma journée. » +Si nous considérons qu'il s'agit bien là de la réalisation d'un exercice +spirituel, et en sachant que Sénèque est un philosophe, nous pouvons en déduire +que cette lettre comporte finalement un double enjeu. +Le premier est explicite : Sénèque fait une démonstration à Lucilius comme un +maître peut le faire avec son élève. +Le second est la réalisation de l'exercice pour Sénèque lui-même. +En réalisant cet exercice dans le cadre d'une leçon qu'il dispense, Sénèque en +profite pour appliquer cette méthode et écrire son examen de conscience qu'il va +pouvoir livrer à Lucilius qui, en l'occurrence, incarne l'autre. +La conjugaison au futur employée dans la lettre donne à penser que Sénèque +prémédite les actions et mouvements qu'il va réaliser dans la journée. +Il fait en sorte que ses actions soient vertueuses pour qu'il n'y ait rien dont +il puisse avoir honte car il sait que Lucilius sera témoin de son récit. + +Cet exemple fait émerger plusieurs propriétés de l'intimité qui sont évoquées +dans la lettre de Sénèque et que l'on peut, par extension, appliquer à la +philosophie antique. +Tout d'abord, cette intimité naît de la pratique de la philosophie et des +exercices qui l'accompagnent. +Ce n'est donc pas quelque chose qui serait donné et pré-existant à soi, mais +quelque chose qu'il faut construire. +Ensuite, elle nécessite un medium, dans ce cas-ci l'écriture, pour ajouter un +mouvement d'extériorisation à une première dynamique introspective. +En somme, le philosophe créé un récit de lui-même afin de mobiliser l'autre et +se donner à voir, pour mettre en évidence ce qui lui est intérieur. + +Néanmoins, il ne s'agit pas uniquement de se livrer à autrui, d'ailleurs ce +n'est pas le regard que l'autre peut porter sur soi qui importe. +Qu'il s'agisse de Sénèque ou d'Antoine, leur méthode convoque un autre qui est +soit « public », soit « témoin ». +L'autre ainsi convoqué dans ce mouvement d'extériorisation est avant tout un +autre social et politique. +Finalement, le philosophe se doit d'être irréprochable, sa conduite doit +correspondre à l'image attendu d'un philosophe dans l'école mais aussi et +surtout dans la cité. +Il ne dépend pas du regard que peuvent porter les citoyens sur lui, mais plutôt +d'un système de valeurs qui le détermine en tant que philosophe. +La question de la maîtrise de soi et de l'examen de conscience est donc +fondamentalement éthique. + +L'intimité n'est donc pas soi et elle ne peut exister que parce qu'il y a +présence de l'autre, l'intimité ne serait plus seulement un espace au plus +profond de l'être mais un espace qui se trouve entre l'être et l'autre, entre +soi et le monde social. + +## Le document numérique au prisme de la théorie des médias + +## Conclusion |