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</header>
<div class="content">
<h2 id="introduction">Introduction</h2>
-<p>Lors du chapitre précédent, nous avons défini l’<em>intimité du chercheur</em> comme le résultat produit par les écrits savants, parmi lesquels nous retrouvons les publications scientifiques qui sont l’objet de notre recherche. Ces publications scientifiques peuvent être assimilées à des documents numériques, soit un espace délimité dans lequel sont organisées des informations selon des normes établies par les impératifs technologiques d’une chaîne éditoriale, par exemple avec des protocoles de communication des documents ou encore des formats. Dans cette chaîne, la réalisation d’un document nécessite ainsi des interactions entre une multitude d’agents, qu’ils soient numériques ou humains, pour advenir. À chacune des étapes de sa constitution, ces interactions entre les agents laissent des traces à l’intérieur du document que nous considérons comme des traces de cette intimité du chercheur. Ces traces sont des indices d’une intimité passée et donc de la matérialité de cette dernière.</p>
+<p>Lors du chapitre précédent, nous avons défini l’<em>intimité du chercheur</em> comme le résultat produit par les écrits savants, parmi lesquels nous retrouvons les publications scientifiques qui sont l’objet de notre recherche. Ces publications scientifiques peuvent être assimilées à des documents numériques, soit un espace délimité dans lequel sont organisées des informations selon des normes établies par les impératifs technologiques d’une chaîne éditoriale, par exemple avec des protocoles de communication des documents ou encore des formats. Dans cette chaîne, la réalisation d’un document nécessite ainsi des interactions entre une multitude d’agents pour advenir, qu’ils soient numériques ou humains. À chacune des étapes de sa constitution, ces interactions entre les agents laissent des traces à l’intérieur du document que nous considérons comme des traces de l’intimité du chercheur. Ces traces sont des indices d’une intimité passée et donc de la matérialité de cette dernière.</p>
<p>Avec ce chapitre, nous commençons à détailler la relation qu’entretiennent un auteur et un ordinateur dans l’acte d’écriture scientifique dans un environnement numérique<a href="#fn1" class="footnote-ref" id="fnref1" role="doc-noteref"><sup>1</sup></a>.</p>
<p>Ce dispositif que nous venons de décrire fait écho aux théories de l’éditorialisation <span class="citation" data-cites="vitali-rosati_editorialization_2018">(Vitali-Rosati, 2018)</span> et de l’énonciation éditoriale <span class="citation" data-cites="souchier_image_1998">(Souchier, 1998)</span>. Ainsi, cette écriture numérique n’est plus définie en tant que fruit d’une seule fonction auctoriale, mais l’est par un ensemble de fonctions éditoriales dont la fonction auctoriale fait partie.</p>
<p>Selon ce cadre théorique, et puisque notre hypothèse positionne l’intime en tant que produit de l’écriture, nous pouvons nous demander quelle est la contribution de l’environnement d’écriture à cet intime lors de la saisie d’un texte dans un document.</p>
@@ -79,7 +79,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
<p>Alors que chaque signe et chaque trace inscrite <span class="citation" data-cites="christin__1999 vitali-rosati__2020">(<strong>christin__1999?</strong>; <strong>vitali-rosati__2020?</strong>)</span> dans l’éditeur de texte Stylo incarne cette tension <em>entre</em> l’utilisateur et la machine, dont les différences de langage – naturel et machine – rend a priori toute communication directe impossible, nous analysons les différents modes de communication des informations dans Stylo pour suivre les traces de l’intime qui y circulent. Pour en découvrir plus sur cet <em>entre</em>, nous étudions cette distance à partir de la méthode employée par le théoricien des médias F. Kittler <span class="citation" data-cites="kittler_mode_2015 kittler_gramophone_2018">(F. Kittler, 2018; 2015)</span>, qui s’appuie d’abord sur la description du fonctionnement de la machine à écrire puis celle de l’ordinateur afin de comprendre leur implication, en tant que média, dans le phénomène qu’est l’écriture. Cette méthode implique de comprendre les comportements et les fonctionnements techniques des composants à l’oeuvre dans la machine, et cela qu’ils relèvent du matériel ou du logiciel. En conséquence, nous mobilisons de la documentation technique pour étayer notre propos et pour analyser les traces qui nous intéressent.</p>
<h2 id="écrire-dans-un-environnement-numérique">Écrire dans un environnement numérique</h2>
<h3 id="définir-lenvironnement-où-écrire">Définir l’environnement où écrire</h3>
-<p>Par habitude, nous partons du présupposé que lorsque nous évoquons les mots environnement d’écriture numérique ceux-ci sont synonymes environnement d’écriture informatique et désignent la même chose. En conséquence, lorsqu’il s’agit de convoquer l’écriture numérique nous pensons tout de suite à un ordinateur, aux claviers, aux écrans et aux pointeurs qui clignotent dans des éditeur de texte ou dans les champs des formulaires en ligne. Avec le numérique ubiquitaire <span class="citation" data-cites="citton_angles_2023">(<strong>citton_angles_2023?</strong>)</span>, ces pratiques d’écriture sont ancrées dans nos habitudes au point de ne plus les remettre en question. Les dispositifs d’écriture analogique sont ainsi renvoyés à l’état de vestiges archaïques, comme peuvent l’être les machines à écrire alors qu’elles ont été fabriquées méticuleusement par des designers et des ingénieurs et qu’elles ont fait la fierté et la renommée de certaines entreprises comme Olivetti en Italie. Aujourd’hui ces machines sont complètement désuètes et inutilisées depuis presque une trentaine d’années. Elles sont maintenant exposées dans des musées – entre autres au MoMA et au Centre Pompidou – et sont intégrées dans des collections permanentes ou exhibées lors des expositions en lien avec les designers qui les ont conçues<a href="#fn2" class="footnote-ref" id="fnref2" role="doc-noteref"><sup>2</sup></a>.</p>
+<p>Par habitude, nous partons du présupposé que lorsque nous évoquons les mots environnement d’écriture numérique ceux-ci sont synonymes d’un environnement d’écriture informatique et désignent la même chose. En conséquence, lorsqu’il s’agit de convoquer l’écriture numérique, nous pensons tout de suite à un ordinateur, aux claviers, aux écrans et aux pointeurs qui clignotent dans des éditeur de texte ou dans les champs des formulaires en ligne. Avec le numérique ubiquitaire <span class="citation" data-cites="citton_angles_2023">(<strong>citton_angles_2023?</strong>)</span>, ces pratiques d’écriture sont ancrées dans nos habitudes au point de ne plus les remettre en question. Les dispositifs d’écriture analogique sont ainsi renvoyés à l’état de vestiges archaïques, comme peuvent l’être les machines à écrire alors qu’elles ont été fabriquées méticuleusement par des designers et des ingénieurs et ont fait la fierté et la renommée de certaines entreprises comme Olivetti en Italie juste avant que les ordinateurs n’arrivent sur le marché. Aujourd’hui ces machines sont complètement désuètes et inutilisées depuis presque une trentaine d’années. Elles sont maintenant exposées dans des musées – entre autres au MoMA et au Centre Pompidou – et sont intégrées dans des collections permanentes ou exhibées lors des expositions en lien avec les designers qui les ont conçues<a href="#fn2" class="footnote-ref" id="fnref2" role="doc-noteref"><sup>2</sup></a>.</p>
<figure>
<img src="https://www.photo.rmn.fr/CorexDoc/RMN/Media/TR1/YECPH3/07-521403.jpg" title="Machine à écrire portative" alt="Machine à écrire portative" />
<figcaption aria-hidden="true">Machine à écrire portative</figcaption>
@@ -90,18 +90,18 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
<figcaption aria-hidden="true">Publicité pour la machine à écrire Valentine</figcaption>
</figure>
<p>Crédits : © Adagp, Paris. Crédit photographique : Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP. Réf. image : 4F40212 [2003 CX 6098]. Diffusion image : <a href="https://www.photo.rmn.fr/C.aspx?VP3=SearchResult&amp;IID=2C6NU0DWCD6W">l’Agence Photo de la RMN</a></p>
-<p>Pourtant, les derniers modèles fabriqués par ces entreprises l’ont été dans les années 1980 et 1990, comme c’est le cas du modèle ETP 55 Portable<a href="#fn3" class="footnote-ref" id="fnref3" role="doc-noteref"><sup>3</sup></a> où sont intégrés des composants électroniques pour suivre le marché des ordinateurs. Les constructeurs ont opéré un changement de paradigme de l’analogique vers le numérique dès les années 1970 et ont suivi les innovations technologiques apportées par la miniaturisation des composants électroniques pour l’informatique. Pour preuve, en 1983, Perry A. King et Antonio Macchi Cassia conçoivent le premier ordinateur personnel d’Olivetti avec le modèle M10 en adaptant un clavier à un écran à cristaux liquide. et ordinateur, équipé du processeur Intel 80C85 en 8-bits, pouvait également se connecter à tout un ensemble de périphériques comme des imprimantes.</p>
+<p>Pourtant, les derniers modèles fabriqués par ces entreprises l’ont été dans les années 1980 et 1990, comme c’est le cas du modèle ETP 55 Portable<a href="#fn3" class="footnote-ref" id="fnref3" role="doc-noteref"><sup>3</sup></a> où sont intégrés des composants électroniques pour suivre le marché des ordinateurs. Les constructeurs ont opéré un changement de paradigme de l’analogique vers le numérique dès les années 1970 et ont suivi les innovations technologiques apportées par la miniaturisation des composants électroniques pour l’informatique. Pour preuve, en 1983, Perry A. King et Antonio Macchi Cassia conçoivent le premier ordinateur personnel d’Olivetti avec le modèle M10 en adaptant un clavier à un écran à cristaux liquide. Cet ordinateur, équipé du processeur Intel 80C85 en 8-bits, pouvait également se connecter à tout un ensemble de périphériques comme des imprimantes.</p>
<figure>
<img src="http://munk.org/typecast/wp-content/uploads/2014/08/15635.jpg" title="Photo d&#39;un M10" alt="Photo d’un M10" />
<figcaption aria-hidden="true">Photo d’un M10</figcaption>
</figure>
<p>Crédits : Photo trouvée sur le blog <a href="https://munk.org/typecast/2014/08/03/back-to-the-future-pram-and-the-promise-of-unified-memory-again/">Munk.org</a>, site consulté le 22 février 2024.</p>
<p>Il faut se rappeler qu’au début des années 1980 il n’est pas encore certain que l’ordinateur personnel (avec sa tour et son écran à tube cathodique) deviendra l’outil d’écriture par excellence. À cette époque, les machines à écrire ont encore quelques avantages sur les plans esthétique, financier et social puisque on les retrouve encore implantées à la fois dans les sphères professionnelles et personnelles.</p>
-<p>La fin des années 1970 et les années 1980 marquent un tournant décisif pour l’ordinateur personnel avec l’apparition des logiciels de traitement de texte et la bataille qui sévit durant toute cette période. M. Kirschenbaum et T. Bergin détaillent dans leurs travaux cette course au développement de logiciels durant cette période pour obtenir un monopole sur le marché <span class="citation" data-cites="bergin_origins_2006 bergin_proliferation_2006 kirschenbaum_track_2016">(<strong>bergin_origins_2006?</strong>; <strong>bergin_proliferation_2006?</strong>; <strong>kirschenbaum_track_2016?</strong>)</span>. Avant l’engouement pour les interfaces graphiques et les gestionnaires de fenêtres – 1983 et 1984 avec l’entreprise Apple qui s’est largement inspirée des interfaces graphiques développées par Xerox PARC dans les années 1970 – la seule interface affichée à l’écran était un terminal et la navigation se faisait au moyen de commandes. Les premiers logiciels de traitement de texte comme Electric Pencil ne permettent pas alors une gestion de la mise en page idéale ni ne fonctionne sur tous les modèles d’ordinateurs présents sur le marché<a href="#fn4" class="footnote-ref" id="fnref4" role="doc-noteref"><sup>4</sup></a>. Ainsi, écrire sur un support connecté paraît aujourd’hui être une évidence alors qu’il a fallut déployer de lourds efforts à une époque ou cette évidence était incertaine.</p>
+<p>La fin des années 1970 et les années 1980 marquent un tournant décisif pour l’ordinateur personnel avec l’apparition des logiciels de traitement de texte et la bataille qui sévit durant toute cette période pour en avoir le monopole. M. Kirschenbaum et T. Bergin détaillent dans leurs travaux cette course au développement de logiciels durant cette période pour obtenir un monopole sur le marché <span class="citation" data-cites="bergin_origins_2006 bergin_proliferation_2006 kirschenbaum_track_2016">(<strong>bergin_origins_2006?</strong>; <strong>bergin_proliferation_2006?</strong>; <strong>kirschenbaum_track_2016?</strong>)</span>. Avant l’engouement pour les interfaces graphiques et les gestionnaires de fenêtres – 1983 et 1984 avec l’entreprise Apple qui s’est largement inspirée des interfaces graphiques développées par Xerox PARC dans les années 1970 – la seule interface affichée à l’écran était un terminal et la navigation se faisait au moyen de commandes. Les premiers logiciels de traitement de texte comme Electric Pencil ne permettent pas alors une gestion de la mise en page idéale ni ne fonctionne sur tous les modèles d’ordinateurs présents sur le marché<a href="#fn4" class="footnote-ref" id="fnref4" role="doc-noteref"><sup>4</sup></a>. Ainsi, écrire sur un support connecté paraît aujourd’hui être une évidence alors qu’il a fallut déployer de lourds efforts à une époque ou cette évidence était incertaine.</p>
<p>L’écriture numérique est ainsi à distinguer de l’écriture dans un environnement numérique : un ordinateur, Internet, le Web, une calcultrice ou une machine à écrire de la dernière génération. En tant qu’abstraction, l’écriture numérique est une représentation du monde donnée, dont la qualification à travers un medium permet de l’incarner physiquement et matériellement mais pas de la circonscrire. En somme, cette représentation numérique du monde n’est pas nouvelle et ce n’est pas l’ordinateur qui l’a apporté. À notre connaissance, son origine remonte aux prémisses de l’écriture et des développements des systèmes monétaires, nous dirait C. Herrenschmidt <span class="citation" data-cites="herrenschmidt_les_2023">(<strong>herrenschmidt_les_2023?</strong>)</span>.</p>
<p>Dorénavant, lorsque nous ferons référence à l’écriture numérique nous parlerons d’une écriture numérique dans un environnement informatique.</p>
<h3 id="les-particularités-de-lécriture-numérique">Les particularités de l’écriture numérique</h3>
-<p>Avant d’entamer une réflexion sur l’écriture numérique, convenons d’une brève définition l’écriture, car celle-ci a fait couler beaucoup d’encre à son sujet, notamment depuis sa reconfiguration numérique au crépuscule du 20<sup>e</sup> siècle. La définir tient généralement de l’anthropologie, des lettres, de la sémiotique ou encore des sciences de l’information et de la communication ou de l’étude des médias et cela pour ne mentionner que certaines disciplines de la sphère académique. Très largement, l’écriture est entendue comme « mode d’expression » et « fonction de communication » au sein d’une société <span class="citation" data-cites="christin_les_1999">(<strong>christin_les_1999?</strong>)</span>. Anne-Marie Christin distingue deux tendances principales de l’origine de l’écriture : l’écriture selon la trace, étant soit comprise comme le signe verbal transposé sur un support soit comme la marque laissée par un corps, ou l’écriture selon le signe dans son sens étymologique d’« événement inaugural [qui] participe d’une révélation » tant qu’il s’inscrit dans un « système » tel que la disposition des entrailles d’une bête sacrifiée lors d’une cérémonie <span class="citation" data-cites="christin_les_1999 vitali-rosati_quest-ce_2020">(<strong>christin_les_1999?</strong>; <strong>vitali-rosati_quest-ce_2020?</strong>)</span>. À défaut de prendre parti pour l’un ou l’autre de ces paradigmes, nous pouvons retenir deux caractéristiques qui leur sont communes et que l’on retrouve dans tous types d’écriture, même numérique. Lorsque l’écriture est convoquée, elle fait appel à deux actions : l’inscription et l’interprétation. Qu’il s’agisse d’une trace ou d’un signe, retenons que l’écriture est toujours inscrite sur un support et que cette inscription fait l’objet d’une lecture et d’une interprétation. Cette association apparaît régulièrement dans les travaux qui traitent de l’environnement numérique, par exemple sous l’appellation de littératie numérique chez Milad Doueihi <span class="citation" data-cites="doueihi_grande_2011">(<strong>doueihi_grande_2011?</strong>)</span> ou de lettrure chez Emmanuel Souchier <span class="citation" data-cites="souchier__2012">(<strong>souchier__2012?</strong>)</span>.</p>
+<p>Avant d’entamer une réflexion sur l’écriture numérique, convenons d’une brève définition de l’écriture, car celle-ci a fait couler beaucoup d’encre à son sujet, notamment depuis sa reconfiguration numérique au crépuscule du 20<sup>e</sup> siècle. La définir tient généralement de l’anthropologie, des lettres, de la sémiotique ou encore des sciences de l’information et de la communication ou de l’étude des médias et cela pour ne mentionner que certaines disciplines de la sphère académique. Très largement, l’écriture est entendue comme « mode d’expression » et « fonction de communication » au sein d’une société <span class="citation" data-cites="christin_les_1999">(<strong>christin_les_1999?</strong>)</span>. Anne-Marie Christin distingue deux tendances principales de l’origine de l’écriture : l’écriture selon la trace, étant soit comprise comme le signe verbal transposé sur un support soit comme la marque laissée par un corps, ou l’écriture selon le signe dans son sens étymologique d’« événement inaugural [qui] participe d’une révélation » tant qu’il s’inscrit dans un « système » tel que la disposition des entrailles d’une bête sacrifiée lors d’une cérémonie <span class="citation" data-cites="christin_les_1999 vitali-rosati_quest-ce_2020">(<strong>christin_les_1999?</strong>; <strong>vitali-rosati_quest-ce_2020?</strong>)</span>. À défaut de prendre parti pour l’un ou l’autre de ces paradigmes, nous pouvons retenir deux caractéristiques qui leur sont communes et que l’on retrouve dans tous types d’écriture, même numérique. Lorsque l’écriture est convoquée, elle fait appel à deux actions : l’inscription et l’interprétation. Qu’il s’agisse d’une trace ou d’un signe, retenons que l’écriture est toujours inscrite sur un support et que cette inscription fait l’objet d’une lecture et d’une interprétation. Cette association apparaît régulièrement dans les travaux qui traitent de l’environnement numérique, par exemple sous l’appellation de littératie numérique chez Milad Doueihi <span class="citation" data-cites="doueihi_grande_2011">(<strong>doueihi_grande_2011?</strong>)</span> ou de lettrure chez Emmanuel Souchier <span class="citation" data-cites="souchier__2012">(<strong>souchier__2012?</strong>)</span>.</p>
<p>Toutefois, l’écriture numérique diffère d’une écriture plus traditionnelle, telle que nous venons de la défnir, et se distingue notamment par trois caractéristiques que sont la calculabilité <span class="citation" data-cites="crozat_ecrire_2016">(<strong>crozat_ecrire_2016?</strong>)</span>, la variabilité <span class="citation" data-cites="bouchardon_lecriture_2014">(<strong>bouchardon_lecriture_2014?</strong>)</span> et la rupture sémiotique entre le geste d’écriture et l’inscription sur le support <span class="citation" data-cites="souchier_numerique_2019">(Souchier, 2019)</span>.</p>
<p>La première caractéristique est d’ordre computationnel : l’écriture devient calculable et peut donc faire l’objet d’instructions. Pour réaliser cette action, on procède à une équivalence où chaque signe que l’on peut inscrire dans cet environnement à son pendant unique sous forme de bits. Lorsque chaque caractère peut être identifié en tant que nombre, il devient possible d’implémenter ce modèle dans une machine et de lui demander, grâce à des instructions, d’appliquer des calculs.</p>
<p>L’exemple idéal pour illustrer cette caractéristique n’est rien de moins que la machine imaginée par Alan Turing, qu’il présente en 1936 dans son article « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem » dans la section <em>Computing machines</em> <span class="citation" data-cites="turing_computable_1936">(<strong>turing_computable_1936?</strong>)</span>. Ce que Turing décrit n’est pas une machine physique mais un modèle théorique, une machine abstraite fondamentale pour les développements futurs de l’informatique. Cette machine est constituée de plusieurs éléments :</p>
@@ -112,15 +112,15 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
<li>des instructions pour se déplacer sur le ruban, soit d’une case vers la gauche soit d’une case vers la droite, lire et écrire («<em>scan and print</em>») ou modifier la case scannée et se redéplacer avant de s’arrêter.</li>
</ul>
<p>Théoriquement le ruban sur lequel la machine exécute ses programmes est infini vers la gauche et la droite et cela afin de permettre l’exécution des instructions les plus complexes. La machine de Turing ne s’intéresse pas aux résultats des instructions ni à leur signification, d’où résulte une forme d’automatisation de l’écriture. L’espace de la machine, aussi vaste soit-il, n’est composé que de séries de 0 et de 1 ainsi que de différents états, renvoyant à des instructions et permettant ainsi à la machine de modifier son propre espace. Cette capacité de modification peut être associée à la deuxième caractéristique de l’écriture numérique que S. Bouchardon nomme la variabilité.</p>
-<p>Le passage du signe à l’unité atomique et discrète qu’est le chiffre signifie un changement de représentation du monde (au sens que K. Hayles donne au terme <em>worldview</em> <span class="citation" data-cites="hayles_my_2005">(<strong>hayles_my_2005?</strong>)</span>) : le monde – ou l’espace – n’est alors plus signifié par des mots ou des concepts, mais le devient par des chiffres. Comme McLuhan nous le rappelle dès 1964 <span class="citation" data-cites="mcluhan_pour_1977">(1977)</span>, les alphabets composés de lettres (contrairement à ceux composés de pictogrammes) sont asémantiques. Si toutefois les alphabets sont liés à une culture d’où ils émergent, l’abstraction nécessaire pour représenter le monde sous forme de chiffres détacherait a priori cette vision de tout sens. En dehors de tout modèle mathématiques abstrait, et cela quel que soit le langage ou la base utilisée pour l’écrire, <code>3</code>, <code>trois</code>, <code>three</code>, <code>III</code>, <code>0011</code>, <code>zéro zéro un un</code>, un chiffre ne signifie pas grand chose s’il n’est pas associé à un système de valeurs particulier, par exemple le système métrique ou le système international <span class="citation" data-cites="herrenschmidt_trois_2023">(<strong>herrenschmidt_trois_2023?</strong>)</span>. En échange de cette perte de signification, l’écriture numérique y gagne cette particularité d’être calculable et mesurable.</p>
+<p>Le passage du signe à l’unité atomique et discrète qu’est le chiffre signifie un changement de représentation du monde (au sens que K. Hayles donne au terme <em>worldview</em> <span class="citation" data-cites="hayles_my_2005">(<strong>hayles_my_2005?</strong>)</span>) : le monde – ou l’espace – n’est alors plus signifié par des mots ou des concepts, mais le devient par des chiffres. Comme McLuhan nous le rappelle dans son ouvrage <em>Pour comprendre les médias</em> <span class="citation" data-cites="mcluhan_pour_1977">(1977)</span>, les alphabets composés de lettres (contrairement à ceux composés de pictogrammes) sont asémantiques. Si toutefois les alphabets sont liés à une culture d’où ils émergent, l’abstraction nécessaire pour représenter le monde sous forme de chiffres détacherait a priori cette vision de tout sens. En dehors de tout modèle mathématiques abstrait, et cela quel que soit le langage ou la base utilisée pour l’écrire, <code>3</code>, <code>trois</code>, <code>three</code>, <code>III</code>, <code>0011</code>, <code>zéro zéro un un</code>, un chiffre ne signifie pas grand chose s’il n’est pas associé à un système de valeurs particulier, par exemple le système métrique ou le système international <span class="citation" data-cites="herrenschmidt_trois_2023">(<strong>herrenschmidt_trois_2023?</strong>)</span>. En échange de cette perte de signification, l’écriture numérique y gagne cette particularité d’être calculable et mesurable.</p>
<p>L’écriture numérique se distingue également des autres types d’écriture par une troisième caractéristique. Il s’agit de la première forme d’écriture où le geste d’écrire ne correspond pas à l’action d’inscription du signe sur son support, phénomène que J. Bonaccorsi nomme déliaison <span class="citation" data-cites="bonaccorsi_fantasmagories_2020">(<strong>bonaccorsi_fantasmagories_2020?</strong>)</span>. Lorsqu’on appuie sur une touche du clavier, par exemple la lettre <code>a</code>, cette lettre n’est pas inscrite à l’écran : l’instruction d’inscrire un signe dans la mémoire de l’ordinateur est donnée à la machine, puis celle de l’afficher à l’écran au moyen d’un logiciel particulier <span class="citation" data-cites="kittler_mode_2015 souchier_numerique_2019">(F. A. Kittler, 2015; Souchier, 2019)</span>. Néanmoins, le fait d’appuyer sur une touche du clavier lorsque l’ordinateur est sous tension ne suffit pas pour déclencher cette instruction : si aucun environnement dédié à l’écriture n’est préalablement exécuté, le fait d’enfoncer une touche ne déclenchera aucune réaction de la part de la machine. Par contre, lorsque l’on se situe dans un environnement où cette réaction est attendue, comme un éditeur de texte, la frappe d’une touche déclenchera un événement et le logiciel pourra générer l’instruction correspondant à l’action d’écrire.</p>
-<p>Ces trois caractéristiques de l’écriture numérique ne sont pas uniquement des propriétés qui s’ajoutent à l’existant et, d’une certaine manière, rendrait l’écriture plus complexe. L’écriture, nous l’avons évoqué, peut être ramenée aux actions d’inscription dans la matière et de lecture. Or, la calculabilité, la variabilité et la déliaison entre geste et inscription perturbent notre définition de l’écriture puisque l’inscription et la lecture des signes et/ou traces sur le support numérique sont des actions réalisées par la machine et plus par l’être humain, comme le souligne F. Kittler <span class="citation" data-cites="kittler">(<strong>kittler?</strong>)</span>. F. Kittler poursuit sa réflexion plus loin jusqu’à soutenir, de manière provocatrice, que l’humain n’écrit plus et qu’à l’ère du numérique, c’est la machine qui écrit. À défaut de prendre cette provocation au pied de la lettre, elle ouvre la perspective d’une machine qui participe et contribue à l’écriture et, ce faisant, participerait à la production de l’intimité du chercheur.</p>
-<p>Seulement, lorsque l’on parle d’écriture numérique, on convoque la “machine” ou l’“ordinateur”. Ces appellations sont toutefois un peu vagues et ne rendent pas très explicite les éléments qu’elles désignent, ni ceux qui sont impliqués dans cette action d’écriture.</p>
+<p>Ces trois caractéristiques de l’écriture numérique ne sont pas uniquement des propriétés qui s’ajoutent à l’existant et, d’une certaine manière, rendrait l’écriture plus complexe. L’écriture, nous l’avons évoqué, peut être ramenée aux actions d’inscription dans la matière et de lecture. Or, la calculabilité, la variabilité et la déliaison entre geste et inscription perturbent notre définition de l’écriture puisque l’inscription et la lecture des signes et/ou traces sur le support numérique sont des actions réalisées par la machine et ne le sont plus par l’être humain, comme le souligne F. Kittler <span class="citation" data-cites="kittler">(<strong>kittler?</strong>)</span>. F. Kittler poursuit sa réflexion plus loin jusqu’à soutenir, de manière provocatrice, que l’humain n’écrit plus et qu’à l’ère du numérique, c’est la machine qui écrit. À défaut de prendre cette provocation au pied de la lettre, elle ouvre la perspective d’une machine qui participe et contribue à l’écriture et, ce faisant, participerait à la production de l’intimité du chercheur.</p>
+<p>Seulement, la “machine” ou l’“ordinateur” sont des appellations un peu vagues et ne rendent pas très explicite les éléments qu’elles désignent, ni ceux qui sont impliqués dans cette action d’écriture et dans cette relation intime entre humain et machine.</p>
<h3 id="la-machine-une-entité-formée-du-couple-matériellogiciel">La machine, une entité formée du couple matériel/logiciel</h3>
<p>La représentation d’un ordinateur est souvent associée à un couple matériel / logiciel. La partie matérielle concerne tous les composants électroniques (carte mère, mémoires, périphériques, etc.), alors que la partie logicielle englobe tous les programmes permettant d’interagir avec la partie matérielle, comme le BIOS (<em>Basic Input Output System</em>), le système d’exploitation ou encore un logiciel de traitement de texte comme LibreOffice.</p>
-<p>Ce couple matériel / logiciel range l’ordinateur dans la catégorie des appareils programmables. La plupart de nos appareils du quotidien ne sont pas programmables : il exécutent ce pour quoi ils sont conçus et ne font rien d’autre. Dans le cas d’un ordinateur ou d’un téléphone intelligent, ou de tout autre appareil programmable, leur conception prévoit qu’ils soient manipulables : elles n’ont pas de fonction précise, néanmoins elles sont capables de répondre à plusieurs fonctions. Un ordinateur qui n’a aucune instruction ne pourra rien faire une fois alimenté. C’est là que les logiciels interviennent : ils permettent un usage déterminé d’un ordinateur en manipulant des informations de façon à exécuter une suite d’instructions formelles.</p>
+<p>Ce couple matériel / logiciel range l’ordinateur dans la catégorie des appareils programmables. La plupart de nos appareils du quotidien ne sont pas programmables : il exécutent ce pour quoi ils sont conçus et ne font rien d’autre. Dans le cas d’un ordinateur ou d’un téléphone intelligent, ou de tout autre appareil programmable, leur conception prévoit qu’ils soient manipulables : ils n’ont pas de fonction précise, néanmoins ils sont capables de répondre à plusieurs fonctions. Un ordinateur qui n’a aucune instruction ne pourra rien faire une fois alimenté. C’est là que les logiciels interviennent : ils permettent un usage déterminé d’un ordinateur en manipulant des informations de façon à exécuter une suite d’instructions formelles.</p>
<p>Pour fonctionner, un ordinateur n’a besoin que des éléments suivants : une alimentation, un processeur, une mémoire vive, des entrées et sorties et une carte mère auxquels viennent s’ajouter un certains nombre de périphériques (écrans, souris, clavier, etc.), des extensions pour prendre en charge une partie des calculs que l’on peut appeler des cartes filles (carte son, carte graphique) et des mémoires de stockage (disques durs).</p>
-<p>Le processeur, ou microprocesseur pour les ordinateurs modernes, est le calculateur central de l’ordinateur, c’est cet élément qui manipule toutes les données à traiter – que l’on appelle aussi le(s) coeur(s) de l’ordinateur. Chaque modèle de processeur à une architecture qui lui est propre, ce qui veut dire que chacun traite les informations <strong>différemment</strong> (même si le résultat obtenu est identique). Un processeur est un assemblage de multiples types de circuits dont l’élément le plus petit est le transistor. L’évolution des processeurs a suivi la loi Moore jusqu’au début des années 2020<a href="#fn5" class="footnote-ref" id="fnref5" role="doc-noteref"><sup>5</sup></a>, date à partir de laquelle nous arrivons à la limite physique de la miniaturisation d’un transistor.</p>
+<p>Le processeur, ou microprocesseur pour les ordinateurs modernes, est le calculateur central de l’ordinateur, c’est cet élément qui manipule toutes les données à traiter – que l’on appelle aussi le(s) coeur(s) de l’ordinateur. Chaque modèle de processeur à une architecture qui lui est propre, ce qui veut dire que chacun traite les informations différemment (même si le résultat obtenu est identique). Un processeur est un assemblage de multiples types de circuits dont l’élément le plus petit est le transistor. L’évolution des processeurs a suivi la loi Moore jusqu’au début des années 2020<a href="#fn5" class="footnote-ref" id="fnref5" role="doc-noteref"><sup>5</sup></a>, date à partir de laquelle nous arrivons à la limite physique de la miniaturisation d’un transistor.</p>
<p>Le premier processeur commercialisé, le processeur Intel 4004, l’a été en 1971<a href="#fn6" class="footnote-ref" id="fnref6" role="doc-noteref"><sup>6</sup></a>. Il s’agissait d’un processeur 4-bits comportant pas moins de 2300 transistors. Lors de la commercialisation de cet objet s’opère un changement radical dans la conception des ordinateurs puisque, dès lors, du fait de la miniaturisation de ce composant, les ordinateurs deviennent accessibles au grand public. En suivant la première loi de Moore, les microprocesseurs ont continué à évoluer jusqu’à atteindre le nombre de plusieurs milliards de transistors par processeur, démultipliant ainsi leur capacité de traitement des informations.</p>
<p>Cette miniaturisation est rendue possible par la gravure des transistors dans des disques de silice (<em>wafer</em>) plutôt que l’usage plus coûteux et instable de relais et de tubes électroniques. Un transistor est un composant électronique dont le rôle est de laisser passer ou non le courant grâce aux propriétés du semi-conducteur à partir duquel il est fabriqué. En fonction de la valeur du courant qui lui est appliqué, le résultat associé à ce courant sera <code>0</code> ou <code>1</code>. Ce transistor est l’élément physique qui incarne les portes logiques (ET, OU, OUI, NON, XOR, etc.) et traitent les données. Parmi tous les traitements possibles, certains nécessitent de garder en mémoire des résultats intermédiaires pour aboutir. Ils sont alors stockés dans la mémoire vive en attendant d’être réutilisés.</p>
<p>Toutes ces informations traitées, qu’elles soient transformées ou mémorisées, proviennent de ce que l’on nomme des <em>entrées</em>. Ce sont ces entrées qui encodent les informations en chiffres. Une fois traitées, ou lorsqu’elles sont appelées par un programme, ces données transitent par les <em>sorties</em>. Elles font la transformation inverse et décodent les chiffres en signes interprétables.</p>
@@ -149,7 +149,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
<li>le logiciel</li>
<li>le document</li>
</ul>
-<p>Le premier cadre, matériel, désigne toute la composante physique de l’ordinateur et surtout l’écran sur lequel est affiché le texte. Le cadre système, quant à lui, est associé à la couche permettant de générer un environnement d’écriture numérique, initialisé par le BIOS, un <em>firmware</em> flashé dans la mémoire morte de la carte mère de l’ordinateur permettant de réaliser un certain nombre d’instructions lors de la mise sous tension de l’oridnateur, comme par exemple le démarrage du système d’exploitation qui constitue le deuxième élément principal du système. Le cadre logiciel est relatif à l’ensemble des logiciels que l’on peut exécuter dans un système d’exploitation, par exemple un terminal, un navigateur ou un traitement de textes. Enfin, le dernier cadre est celui du document. Le document doit être compris comme un objet, ou une forme déterminée, à l’intérieur duquel des éléments sémiotiques sont organisés et structurés <span class="citation" data-cites="pedauque_document_2006 zacklad_design_2019">(Zacklad, 2019; <strong>pedauque_document_2006?</strong>)</span>.</p>
+<p>Le premier cadre, matériel, désigne toute la composante physique de l’ordinateur et surtout l’écran sur lequel est affiché le texte. Le cadre système, quant à lui, est associé à la couche permettant de générer un environnement d’écriture numérique, initialisé par le BIOS et par le démarrage du système d’exploitation qui constitue le deuxième élément principal du cadre système. Le cadre logiciel est relatif à l’ensemble des logiciels que l’on peut exécuter dans un système d’exploitation, par exemple un terminal, un navigateur ou un traitement de textes. Enfin, le dernier cadre est celui du document. Le document doit être compris comme un objet, ou une forme déterminée, à l’intérieur duquel des éléments sémiotiques sont organisés et structurés <span class="citation" data-cites="pedauque_document_2006 zacklad_design_2019">(Zacklad, 2019; <strong>pedauque_document_2006?</strong>)</span>.</p>
<p>Ces cadres sont un début de réponse au dépassement de l’écran. Néanmoins, plutôt que d’approfondir cette dimension invisible du texte, les auteurs de l’architexte reviennent sur la couche graphique en ajoutant qu’« à cet enchâssement de cadres, il faudrait encore ajouter ceux que composent, à l’intérieur même du document, les rubriques, encadrés, cartouches, “boîtes de dialogue” ou autres formes de cadres éditoriaux structurants pour le travail même du texte ».</p>
<p>De plus, toujours selon les auteurs :</p>
<blockquote>
@@ -158,10 +158,10 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
<p>Ce premier cadre de « l’écrit d’écran » ne désigne en fin de compte, pour les auteurs, que l’écran. Or, il n’est pas nommé cadre écran mais cadre matériel et devrait renvoyer à toute la dimension physique d’un ordinateur et pas seulement à l’organe d’affichage qui, dans cette disposition, apparaît comme central dans le fonctionnement d’un ordinateur.</p>
<p>Le dépassement de l’écran est un acte symbolique nécessaire pour se soustraire à une vision anthropocentrée des actions de lecture et d’écriture. Pour effectuer ce changement de perspective, nous devons d’abord nous débarasser d’un élément central à l’interface de l’humain et la machine : la page.</p>
<h3 id="la-page-est-un-doudou">La page est un doudou</h3>
-<p>Le terme <em>page</em> revient de manières récurrente dans nos usages de l’ordinateur : on le retrouve dans les logiciels de traitement de textes – il y a même un logiciel du nom de <em>Pages</em> disponible dans l’environnement Apple –, dans les livres numériques ou encore dans le Web où chaque URL est l’adresse d’une page. Matthew Kirschenbaum et Thomas Bergin nous détaillent dans leurs travaux l’arrivée de la page sur nos écrans durant les années 1970 et le début des années 1980 <span class="citation" data-cites="kirschenbaum_track_2016 bergin_origins_2006 bergin_proliferation_2006">(<strong>kirschenbaum_track_2016?</strong>; <strong>bergin_origins_2006?</strong>; <strong>bergin_proliferation_2006?</strong>)</span>.</p>
+<p>Le terme <em>page</em> revient de manière récurrente dans nos usages de l’ordinateur : on le retrouve dans les logiciels de traitement de textes – il y a même un logiciel du nom de <em>Pages</em> disponible dans l’environnement Apple –, dans les livres numériques ou encore dans le Web où chaque URL est l’adresse d’une page. Matthew Kirschenbaum et Thomas Bergin nous détaillent dans leurs travaux l’arrivée de la page sur nos écrans durant les années 1970 et le début des années 1980 <span class="citation" data-cites="kirschenbaum_track_2016 bergin_origins_2006 bergin_proliferation_2006">(<strong>kirschenbaum_track_2016?</strong>; <strong>bergin_origins_2006?</strong>; <strong>bergin_proliferation_2006?</strong>)</span>.</p>
<p>Cet objet qu’est la page a été instauré dans l’ordinateur uniquement pour reproduire une « habitude » et créer un lien fictif entre les visions du monde de l’imprimerie et de l’informatique. Cet artefact produit une forme de réconfort auprès de l’utilisateur pour que le monde informatique lui semble plus tangible, qu’il ait quelque chose auquel se raccrocher, d’où sa déclinaison dans des espaces différents qui ne ressemblent plus du tout à des pages de livres ou de feuilles (comme par exemple A4 lettre US, ou le livre au format poche). La page affichée à l’écran n’existe qu’à cet endroit, il ne s’agit que d’un rendu graphique qui ne fait pas partie de l’écriture (au sens du texte saisi).</p>
<p>Le pouvoir de la page sur l’utilisateur est considérable étant donnée la nature même de cet objet que l’on pourrait considérer comme l’un des seuls à être virtuel et presque sans matérialité du point de vue de l’informatique. Malgré tous les efforts effectués depuis son instauration à l’écran, la page affichée n’est jamais la page imprimée car, aussi précis que soient les détails typographiques que l’on peut y ajuster, elle ne reflétera jamais le grain, l’épaisseur, l’odeur ou tout autre caractéristique physique du papier.</p>
-<p>La critique énoncée à l’endroit de la page ne doit pas être réduite à une apologie d’un mode sans page. Elle consiste à montrer qu’à vouloir préserver une habitude pour <em>ne pas effrayer</em> l’utilisateur, la page fait écran devant l’ordinateur, et cache la machine qui ne devient plus qu’un simple mécanisme au lieu d’être un agent de l’énonciation éditoriale (voir énonciation computationnelle Goyet).</p>
+<p>La critique énoncée à l’endroit de la page ne doit pas être réduite à une apologie d’un mode sans page. Elle consiste à montrer qu’à vouloir préserver une habitude pour <em>ne pas effrayer</em> l’utilisateur, la page fait écran devant l’ordinateur, et cache la machine qui ne devient plus qu’un simple mécanisme au lieu d’être un agent de l’énonciation éditoriale.</p>
<p>Cette peur de l’informatique pourrait relever essentiellement de l’angoise de l’arrachement d’une valeur qui définie l’être humain et devienne une caractéristique d’une autre entité, ne permettant plus de définir l’humain en regard de ce que lui seul est capable de faire (Vitali-Rosati).</p>
<p>Kittler, à ce propos, nous rappelle qu’historiquement les caractéristiques qui définissent l’être humain sont souvent le symbole du pouvoir et désigne plutôt les hommes alors qu’à l’instant même où cette caractéristique est déchue de son statut de marqueur de puissance, ce sont les femmes qui en héritent. Dans le cas de l’écriture – dactylographie et sténographie–, elles en deviennent les expertes dès 1881, au moment même où les ventes de la machine à écrire Remington II explosent alors que chute le pourcentage d’hommes dans ce domaine <span class="citation" data-cites="kittler_gramophone_2018">(F. Kittler, 2018, p. 306)</span>. La Remington Model II de 1878 comporte une particularité, il s’agit de la première machine à écrire comportant une touche SHIFT pour avoir les hauts de casse et les bas de casse sur le même clavier, pourtant, malgré cette nouvelle fonctionnalité, les ventes ne se développèrent pas dès cette date. En 1881, l’entreprise modifie sa stratégie de vente et cible les femmes qui n’ont pas de travail. En parallèle, l’Association chrétienne de jeunes femmes de New York commence à former des jeunes femmes à la dactylographie, fait qui a été ensuite reproduit en Europe du à son succès <span class="citation" data-cites="kittler_gramophone_2018">(F. Kittler, 2018, p. 322)</span>. Il y aurait donc une peur de perdre non seulement une caractéristique de l’humanité mais surtout une caractéristique de la masculinité.</p>
<p>Néanmoins, avant d’en arriver à cette émotion forte qu’est la peur et qui traduit une incapacité à définir l’être humain, nous pouvons nous appuyer sur la pensée de Gunther Anders et convoquer une forme de honte <span class="citation" data-cites="anders_obsolescence_2002">(<strong>anders_obsolescence_2002?</strong>)</span> que la page camoufle.</p>
@@ -180,7 +180,7 @@ Du fait de mon implication dans Stylo, le regard que je porte sur ce terrain n
<p>Le nom qui désigne un logiciel comme MS Word, Stylo ou LibreOffice désignent plus que les vagues notions que peuvent être leur fonctionnalité principale, dans ces cas-ci l’édition de texte, et peuvent être définis par la totalité des instructions mobilisées dans la manipulation des informations. À l’instar de McLuhan <span class="citation" data-cites="mcluhan_pour_1977">(1977)</span>, l’on pourrait percevoir les logiciels comme des espaces construits – des architectures de l’information <span class="citation" data-cites="broudoux_larchitecture_2013">(<strong>broudoux_larchitecture_2013?</strong>)</span> soignées – avec une topologie qui leur est propre et à travers laquelle chaque suite d’instructions forme une route que des unités sémiotiques empruntent pour y être transformées en unités calculables.</p>
<p>Chaque environnement d’écriture incarne un modèle et une vision du traitement de l’information, que l’on peut englober sous le nom de cet environnement. Lors de l’interaction entre un usager et une machine, par le biais de cet environnement, les médiations à l’oeuvre sont des représentations de ce modèle dont les traces présentes dans les documents sont les indices.</p>
<p>En prenant le cas de Stylo, nous pouvons détailler ce que nom désigne en fouillant l’architecture logicielle, puisque le code est en libre accès, afin de cibler les traces de cette relation entre l’auteur et son environnement.</p>
-<p>Tout d’abord, Stylo représente un espace sur le Web dans lequel nous pouvons écrire en suivant la syntaxe de trois formats de texte brut, le Markdown, le YAML et le BibTeX. Cet espace est à distinguer d’un environnement local puisqu’il s’agit du Web, un espace régit par ses propres règles.</p>
+<p>Tout d’abord, Stylo représente un espace sur le Web dans lequel nous pouvons écrire en suivant la syntaxe de trois formats de texte brut, le Markdown, le YAML et le BibTeX. Le Web fonctionne différemment d’un environnement local sur son ordinateur personnel.</p>
<p>[Faire l’historique du Web en deux phrases, citer les spec du W3C et de HTML jusqu’à HTML5]</p>
<p>Sur le Web, les données sont généralement séparées de l’espace d’affichage et sont stockées sur un serveur, dans une base de données. Il y aurait donc au moins deux modules différents, la partie <em>client</em> – ce qui est affiché dans le navigateur – et la partie <em>serveur</em>, soit la base de données. Dans notre cas, nous allons scinder l’ architecture logicielle de Stylo en trois parties.</p>
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